INDICATEUR DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN DURABLE ASSOCIATIF


Vers un indicateur synthétique de développement humain durable associatif ? (IDHD-A)

Ce texte rend compte de l’expérimentation d’une démarche de diagnostic partagé de l’utilité et des modèles de développement mobilisés par les associations[1]. L’objectif central de l’expérimentation désignée par l’acronyme « DELPHES[2]», est de concevoir, d’expérimenter et de formaliser, avec les acteurs associatifs[3], des processus réflexifs collectifs fondés sur des outils théoriques et méthodologiques novateurs dans une perspective de consolidation des projets et de la participation démocratique des parties prenantes[4]. Cette initiative du Collège Coopératif en Bretagne, soutenue par le Conseil Régional de Bretagne, s’inscrit dans le prolongement de travaux de recherche sur les entreprises sociales[5] et la conduite de démarches participatives d’élaboration de projets de territoire. Mettant à profit une approche complexe du développement et une pratique de la mobilisation et de la formation des acteurs, la démarche Delphes vise la définition d’indicateurs alternatifs, de protocoles d’évaluation et de procédures participatives et coopératives[6]. Dans un premier temps, nous avons élaboré un référentiel à partir d’indicateurs « théoriques » d’utilité et de développement. Ce référentiel, constitue la matrice de la construction des outils de collecte et de traitement des données mobilisés. Il s’agit donc de traduire des conceptions et des méthodes issues de la recherche, puis de les confronter aux réalités observables, aux positions et opinions des acteurs et de vérifier ainsi leur pertinence et leurs limites. Ce premier mouvement descendant, top down, constitue le point d’appui d’un deuxième mouvement ascendant, bottom up. En effet, le traitement des données comme le débat sur les enseignements de l’enquête permettent la transformation, l’adaptation et l’appropriation de ces outils. L’expérimentation offre donc l’opportunité de travailler la transférabilité de la recherche et de confronter des approches théoriques au feu des contextes et des enjeux associatifs.


Les indicateurs de l’utilité et du développement

L’évaluation de l’utilité sociale s’inscrit, en premier lieu, dans une tradition historique du mouvement de l’économie sociale et solidaire qui donne la priorité à l’humain sur le capital, à l’intérêt collectif et général sur l’enrichissement personnel. Cette préoccupation rejoint les travaux récents (Patrick Viveret[7], Dominique Méda[8]) sur la définition de la richesse et de nouveaux indicateurs de richesse prenant en compte les externalités positives pour la société et aussi les externalités négatives de l’activité sur l’environnement social et naturel. En second lieu, les spécificités méritoires[9] du secteur non-lucratif font aujourd’hui l’objet d’une exigence d’évaluation. Ainsi, les statuts particuliers des associations appellent une justification de leur utilité. Jean Gadrey, a proposé une définition complète et complexe de l’utilité sociale que nous reprenons à notre compte en lui donnant une dimension synthétique et opératoire. Pour cet auteur « L’activité d’une organisation d’économie solidaire a une utilité sociale, ou une valeur sociétale, si elle a pour résultat constatable et, en général, pour objectif explicite, au delà d’autres objectifs éventuels de production de biens et de services destinés à des usagers individuels, de contribuer à des objectifs collectifs ou sociétaux (ou « bénéfices collectifs ») dont les principaux sont les suivants : la réduction des inégalités économiques et sociales, y compris l’affirmation de nouveaux droits ;la solidarité (nationale, ou locale, le lien social de proximité et la sociabilité ;l’amélioration des conditions collectives du développement humain durable (dont font partie l’éducation, la santé, la culture, l’environnement, la démocratie. »[10]. Cette approche de l’utilité et de son évaluation qui suscite une réelle mobilisation du monde de la recherche et des réseaux de l’économie sociale doit faire l’objet d’une lecture critique et d’une analyse des enjeux politiques qui justifient cette motivation récente pour ces démarches évaluatives. En effet, le risque est bien réel de réduire les processus collectifs d’évaluation et d’orientation des projets à une procédure normalisée qui imposerait au secteur une technologie de l’évaluation dont les modèles implicites de rationalisation ne seraient pas ou peu interrogés. Nous serions alors sur la pente de la barbarie douce dénoncée par Jean-Pierre Le Goff[11]. Pourtant, le foisonnement actuel des initiatives en la matière, plaide pour une mise en cohérence globale dans une perspective de dissémination. D’ailleurs, notre expérimentation met en lumière des enjeux internes (management et gouvernance) et des enjeux externes (reconnaissance et justification). Si ces démarches permettent aux acteurs d’enrichir l’argumentaire qu’ils mobilisent dans la négociation de moyens avec les pouvoirs publics, l’évaluation de l’utilité associative ne doit pas être orientée uniquement vers la réponse aux attentes des collectivités publiques. Cette démarche est aussi un puissant levier de conscientisation, de formation et d’implication des acteurs qui ouvre des perspectives de dynamisation des projets associatifs et de stimulation de l’expression citoyenne, bref du renforcement des pratiques démocratiques. D’ailleurs, Henri Noguès[12] ironise sur cette attitude défensive de justification. Pour cet auteur « l’utilité sociale n’est pas le vecteur de légitimation demandée par les acteurs eux-mêmes mais plutôt le champ de bataille  où ils se sont retrouvés à la suite de pratiques associatives douteuses ». Il souligne notamment l’impact de la transformation des relations entre les associations et les partenaires publics qui se trouvent aujourd’hui ramenées à une « relation de fournisseur à client et leurs conventions de partenariat à de simples commandes de prestation de service soumises aux règles des marchés publics ». Les risques de cette orientation des politiques publiques, qui semble s’accentuer dans le contexte de l’union européenne au nom du principe de concurrence non faussée du grand marché libéral, est fortement présente à l’esprit des acteurs rencontrés aux cours de nos investigations.

Mais, si nous prenons en compte, dans nos travaux les enjeux de l’utilité associative, nous donnons une place centrale à la question du développement. Cette notion est associée à l’idée d’amélioration, de progrès. Piaget l’a utilisée en psychopédagogie (développement de l’enfant); elle est surtout utilisée en économie pour désigner la situation économique d’un pays : pays développés, sous développés, en développement en référence au modèle de croissance industrielle…A partir des années 60/70, dans le contexte de la décolonisation et des difficultés persistantes  rencontrées par les pays du tiers-monde les plans de développement sont initiés afin d’assurer la croissance économique par imposition du modèle occidental dominant. Diverses théories du développement économique orientent les initiatives : approche libérale, marxiste, auto-développement[13]. L’économie sociale et solidaire en général, les Collèges Coopératifs en particulier sont proches des valeurs et principes de l’auto-développement en référence notamment aux travaux de Paolo Freiré (conscientisation et mobilisation des acteurs) ou de Lebret (Economie et Humanisme, l’économie au service de l’homme). En France, à cette même période, en réaction aux phénomènes de déclin de zones rurales, des acteurs locaux se sont mobilisés pour défendre  le principe de l'auto-développement ou développement endogène. C’est au cours des années 1980, dans un contexte de crise urbaine, que les politiques de la Ville permettront l’expérimentation de nouvelles formes d’intervention territorialisées et transversales qualifiées de DSQ puis de DSU. Les principes du développement social sont fréquemment mobilisés sur différents territoires et domaines, l’intervention sociale départementale par exemple. Aujourd’hui, deux notions émergent de manière significative: le développement durable et le développement humain. L'expression de développement durable (sustainability) est utilisée au plan international en 1987 dans le rapport Brundtland réalisé pour l’ONU. Il s’agit de mettre en valeur des préoccupations environnementales et sociales afin de répondre aux besoins du présent sans compromettre la satisfaction des besoins des générations futures. L’expression sera reprise au sommet de la terre de Rio (1992, ONU) et lors de l’adoption de l’agenda 21, programme de développement durable pour le 21°siècle et notamment la convention sur le changement climatique (refusée par les USA). Il était à l’ordre du jour du sommet mondial du développement durable en Afrique du sud  (26 août au 4 septembre 2002). En France la LOADDT[14], officialise la référence à la durabilité en matière d'aménagement et de développement. L’institut français de l’environnement propose d'ailleurs une approche modulaire (9 modules et 307 indicateurs). Il s’agit de doter la France d’un outil de portée nationale et internationale afin de considérer le développement par une approche globale et non pas limitée aux indicateurs économiques (PIB) et de croiser les dimensions environnementales sociales et économiques.

La notion de développement humain s’inspire des travaux du prix Nobel d’économie Amartya SEN qui a défini pour le PNUD (programme des Nations Unies pour le développement) un indicateur synthétique de développement humain. Selon cet auteur, promoteur d’une économie humaine et morale[15] « la mesure du développement humain s’est faite par l’établissement d’un indicateur de développement humain (IDH) retenant comme dimension l’éducation, la santé et la capacité de disposer d’un revenu suffisant pour mener une vie décente. Le processus de développement devrait créer un environnement favorable qui donne aux individus et aux collectivités une chance de réaliser leurs potentialités et de mener une vie créative, productive, conformément à leurs besoins et à leurs intérêts »[16]. En retenant trois critères essentiels : l’espérance de vie, le niveau d’instruction et le revenu, le PNUD effectue un rapport annuel à partir d’un outil comparatif : l’indice de développement humain IDH (+ IPH indice de pauvreté humaine). En référence aux droits de l’homme, il s’agit d’orienter les aides au développement à partir de six objectifs: vivre longtemps et en bonne santé; acquérir des connaissances; avoir accès aux ressources nécessaires pour vivre dans des conditions décentes; créer des opportunités de créativité et de productivité dans les sphères politiques, économiques et sociales; le droit à la dignité, la maîtrise de sa destinée et le sentiment d’appartenance à une communauté. (valeur d’équité, de durabilité). Ainsi, la formalisation de ces concepts au plan international, trouve aujourd’hui des prolongements au plan local, comme l’illustre la mise en œuvre de procédures « agenda21local ». A partir de ces définitions, nous avons schématisé le développement humain durable comme un système d’interactions et d’interdépendances entre quatre dimensions: le développement social et culturel (niveau collectif), le développement humain (niveau individuel), l’aménagement et le ménagement du territoire et enfin le développement économique. Chaque dimension fait l’objet d’une définition et d’une caractérisation à partir d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs renseignés par l’exploitation de données (outil de positionnement du système d’acteurs). Nous pouvons, à partir de ce modèle qualifier et hiérarchiser les logiques d’action prioritaires et secondaires. Cette approche nous permet de dessiner des configurations diversifiées du développement des entreprises ou projets territoriaux et de repérer des enjeux stratégiques.

L’une des caractéristiques du secteur non lucratif est la combinaison (hybridation) de ressources marchandes et non-marchandes, monétaires et non monétaires. Afin de déterminer la structure des ressources et le degré d’engagement dans trois formes d’économie (économie de marché, économie administrée et économie du don) nous prenons en compte cette spécificité en cherchant à valoriser le bénévolat et la plus value générées par cet engagement. La valorisation du bénévolat qui se traduit par une monétarisation d’une action volontaire est souvent contestée par les intéressés car elle présente des risques et des limites (argument pour un désengagement des collectivités publiques ; réduction du bénévolat à une valeur travail…). Partant de ce cadre conceptuel et méthodologique, nous avons bâti un outil de positionnement individuel par notation pour les différents membres du système d’acteurs identifié. Le traitement des réponses et leur représentation graphique permettent de travailler les écarts de notation et d’identifier et de confronter les représentations. Nous prenons appui sur une approche de la relation entre pratiques et représentations sociales qui infère que la transformation des pratiques individuelles et collectives suppose une transformation des représentations et réciproquement.

Référentiel des indicateurs de l’utilité[17]

1.     UTILITE ECONOMIQUE
(marché et bassin d’emploi)

2. UTILITE SOCIALE
(au sein du système d’acteurs)
3. UTILITE SOCIETALE
(Territoire et société)

4. UTILITE ECOLOGIQUE ET ENVIRONNEMENTALE
(Terre)
1.1. Création d’emplois durables
1.2. Création de richesses monétaires marchandes,
1.3. Création de richesses monétaires non marchandes
1.4. Création de richesses non monétaires
1.5. Achats
1.6. Investissements
1.7. Création d’un capital social[18] (réseau, notoriété, confiance) à finalité économique.
1.8. Innovations technologiques
1.9. Innovations sociales
Effets de développement local
2.1. Insertion professionnelle
2.2. Insertion sociale
2.3. Intégration minorités et lutte contre les discriminations
2.4. Formation et compétences professionnelles
2.5. Promotion sociale
2.6. Socialisation
2.7. Sociabilité interne
2.8. Solidarités internes
2.9. Convivialité interne
2.10. Citoyenneté et démocratie interne


3.1. Services à la communauté des membres
3.3  Services à la collectivité
3.4. Développement des réseaux sociaux
3.5. Augmentation du capital social du territoire
3.6.Développement de la participation citoyenne
3.7. Développement des compétences et des qualifications
3.8. Diffusion des innovations
3.9.Diffusion des informations
3.10.       Renforcement des solidarités entre les générations
3.11.       Renforcement des solidarités entre les territoires

4.1. Respect de la qualité environnementale
4.2. Maîtrise des pollutions
4.3. Maîtrise de la consommation de matières premières
4.4. Effort de recyclage
4.5. Durabilité des produits
4.6. Effort d’information interne
4.7. Effort d’information externe
4.8. Développement durable de l’entreprise
4.9. Contribution au développement  durable du territoire
4.10.       Contribution au développement durable de la société
Référentiel des indicateurs de développement


DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE


DEVELOPPEMENT SOCIAL
1-     qualité de la production de biens et de services
2-     croissance du chiffre d’affaires
3-    croissance de l’emploi salarié
4-     autonomie financière
5-     autonomie vis-à-vis de la commande publique
6-    capacité d’innovation
7-     compétitivité
8-     notoriété
9-    productivité
10-  utilité économique
1-     solidarités internes
2-     solidarités externes
3-    socialisation et resocialisation
4-     responsabilisation
5-     engagement citoyen
6-    créativité
7-     réseaux sociaux
8-     partenariats
9-    utilité sociétale
10-  utilité sociale


DEVELOPPEMENT HUMAIN


AMENAGEMENT ET MENAGEMENT DU TERRITOIRE

1-     sécurité
2-     bien être
3-    santé
4-     égalité de traitement
5-     promotion sociale et formation
6-    conditions matérielles
7-     participation parties prenantes
8-     transparence
9-    reconnaissance
10-  liberté d’expression


1-     qualité environnementale de la production
2-     réduction des pollutions
3-    réduction de la consommation d’énergie
4-     réduction consommation matières premières
5-     effort de recyclage des déchets
6-    sensibilisation des salariés
7-     sensibilisation des adhérents
8-     sensibilisation des bénéficiaires
9-    durabilité des produits
10-  protection environnement


Des entretiens collectifs ont été menés avec  les participants à l’enquête de positionnement. Une présentation du traitement des données a permis de proposer une approche comparative entre les associations, d’une part, et entre les différentes catégories d’acteurs, d’autre part. La réflexion collective sur les convergences et les divergences d’appréciation a nourri un débat fécond qui a porté sur la méthode, les résultats obtenus, les approfondissements nécessaires. L’entretien collectif est aussi un temps de « révélation » des positions subjectives des acteurs mobilisés, un moment de transition entre des représentations individuelles et la formation d’une représentation collective étayée par le travail d’objectivation (lien entre des faits réels et des appréciations).

Tout d’abord, il convient de souligner que les notions mobilisées comme les procédures d’enquête présentent une complexité qui déroute nombre de volontaires. En effet, si la démarche a pour ambition de transférer les acquis de la recherche en mobilisant des méthode de la formation continue et de l’éducation populaire, cette traduction des concepts et des modèles théoriques apparaît difficile, compte tenu de l’hétérogénéité des publics rencontrés et du temps limité consacré à la sensibilisation. La présentation argumentée des notions, comme la formulation des questions et le mode de passation, doivent faire l’objet d’une simplification. Il s’agit de concilier une démarche scientifique rigoureuse et une pédagogie de l’évaluation et de la participation adaptée aux attentes des acteurs.

Ensuite, nous avons retenu les principes du volontariat et de la diversité pour construire la population de notre enquête. Ce choix, qui se justifie par la limitation des moyens d’investigation le caractère expérimental de l’enquête présente toutefois des limites. Ces limites n’ont pas échappées à la perspicacité de nos répondants. Tout d’abord, le choix de quatre associations oeuvrant dans des domaines variés rend la comparaison délicate et il est souhaité, par les participants des approches comparatives d’associations oeuvrant dans le même domaine d’activité. Cependant, l’analyse comparée de ces quatre associations permet de mettre en lumière des trajectoires associatives et des contextes locaux, et aussi de comprendre des positionnements variables qui traduisent l’inscription dans des logiques de marché concurrentiel ou de délégation de service public.

Nous pouvons également souligner que la constitution du système des parties prenantes est fondée sur le volontariat et la cooptation. Ce sont donc des personnes en proximité avec les  instances dirigeantes des associations qui sont mobilisées. Nous pouvons donc interroger la représentativité de ces acteurs et prendre en compte leur degré d’empathie à l’égard des responsables de ces associations. A l’inverse, cette proximité renforce la capacité de positionnement en raison du degré d’implication et d’information des personnes.

 Quel développement humain durable ? Les leçons du positionnement des acteurs

La restitution des premiers résultats issus du traitement des 50 questionnaires d’auto positionnement a permis, par un effet miroir, de schématiser une représentation collective, construite par hypothèse comme le cumul des appréciations formulées par les répondants. Si chacun s’accorde à reconnaître la dimension subjective et imprécise de la notation, elle permet néanmoins de repérer de grandes tendances et aussi d’identifier des écarts et de tenter de les comprendre. 
En premier lieu, l’enquête met en évidence une représentation assez homogène et positive de la dimension sociale du développement associatif. Ces convergences peuvent traduire une culture associative partagée, une adhésion collective à des principes (solidarité, démocratie, éducation) et une reconnaissance de la contribution effective de l’association dans ce domaine. Si nous pouvons ironiser sur la satisfaction qui émane des réponses, nous observons des variations entre les associations et des variations selon les statuts. Nous pouvons également remarquer des effets de statuts et de position sur la notation. Les dirigeants, élus et salariés, ont tendance à attribuer des notes plus élevées que les salariés les plus éloignés des pôles de décision.

En ce qui concerne les partenaires et les usagers, il ont tendance soit à noter « fort » soit à ne pas répondre, ce qui traduit aussi leur degré d’information sur le fonctionnement des structures. La dimension du développement économique apparaît contrastée, notamment en ce qui concerne la question de l’emploi et du volume d’activités. Ces écarts sont à  référer avec le contexte particulier de la remise en cause de dispositifs d’emplois aidés (emploi jeunes et postes d’insertion). Notons toutefois le dynamisme de ces associations et leur capacité à diversifier leurs activités et à étendre leur rayonnement territorial. L’approche des indicateurs de développement humain met en évidence de appréciations contrastées selon les statuts. Si la satisfaction des besoins et la recherche de bien-être est centrée sur l’usager, certains salariés vivent leur implication professionnelle dans un climat de stress et attentent une reconnaissance accrue. L’enquête permet de soulever la délicate question des équilibres à trouver entre les dimensions économiques, sociales et humaines du développement associatif.  Par ailleurs, si chacun adhère aux principes du développement durable et de la qualité environnementale, dans les pratiques ce n’est pas le cas. Les plus mauvais scores enregistrés par les associations le sont dans cette dimension du développement durable.

Les participants  apprécient la capacité de la démarche Delphes à rendre lisible l’utilité de l’association et sa complexité. Cette photographie à un instant t suscite une réflexion partagée, un échange sur des questions rarement traitées dans un cadre qui permet la co-construction d’outils et leur appropriation. Ils adhèrent généralement à cette approche qui donne toute sa place à la dimension humaine et sociale de l’action associative et relativise la centralité des enjeux économiques, qui restent néanmoins une préoccupation partagée (équilibre, pérennité des activités et des emplois). Les échanges sur les résultats de la première étape permettent d’interroger la pertinence des logiques d’évaluation qui s’imposent aux associations. Autrement dit, face à une évaluation technocratique venant d’en haut est-il possible de proposer une évaluation démocratique venant d’en bas ? Le conventionnement, l’agrément, la réponse à des appels à projets européens imposent systématiquement une procédure d’évaluation. Or, compte tenu de la diversité des financements mobilisés, les outils d’évaluation ne sont pas homogènes et cela pose aux équipes  des problèmes de méthode et d’organisation.
D’ailleurs, l’enquête montre la faible formalisation des outils et le recours à des approches « impressionnistes»  de l’évaluation. Pour les élus locaux rencontrés l’évaluation apparaît comme une nécessité afin qu’il puissent construire leurs décisions d’intervention financière à partir de données fiables et argumentées. Ils souhaitent pouvoir apprécier les résultats obtenus grâce à l’intervention publique. Cette question de l’argumentation est aussi au cœur des enjeux externes de l’évaluation et de la reconnaissance de l’utilité associative.  Pour les responsables, la recherche d’indicateurs pertinents et opératoires permet d’enrichir un argumentaire et de le mobiliser dans la promotion des projets et la négociation de financements. Si chacun s’accorde sur la nécessité d’établir des indicateurs et des outils simples et utilisables au quotidien, ils apparaît aussi que tout n’est pas évaluable, et qu’il ne faut pas réduire l’activité associative aux seuls indicateurs mesurables. Le renforcement du lien social par exemple, comme l’impact d’une action de promotion de la santé ne peuvent s’apprécier que dans la durée avec une approche multifactorielle.



Conclusion : vers un indicateur synthétique de développement humain durable associatif ? (IDHD-A)

 Comme nous avons pu le démontrer dans cette communication, nous avons construit et mis en œuvre une démarche et  des outils prenant en compte les approches alternatives de la richesse et de l’utilité. Cette traduction opératoire d’outils théoriques et méthodologiques s’inscrit dans une perspective de valorisation des recherches et de stimulation des apprentissages collectifs. Si nous avons souligné les difficultés rencontrées et les obstacles que constituent un vocabulaire spécialisé et des méthodologies de la recherche, l’expérimentation a suscité intérêt et débat et à contribué, à sa mesure et dans la limite des moyens mis en œuvre, à diffuser une culture de l’évaluation alternative et novatrice. Cette démarche et ces outils sont perfectibles. Ce sont des supports techniques qui permettent d’accompagner des processus collectifs. Et c’est bien là l’enjeu de ce programme d’ouvrir des perspectives et d’offrir aux acteurs associatifs l’opportunité de renforcer   leurs projets et de contribuer à leur reconnaissance.

Vers un indicateur synthétique de développement humain durable associatif ? (IDHD-A)

Indicateurs
Variables
Mode de calcul
1-     Démocratisation et renouvellement

1-1   administrateurs de moins de 30 ans,
1-2   administratrices,
1-3   administrateurs actifs ouvriers ou employés.
% n-1 et variation n-2
% n-1 et variation n-2
% n-1 et variation n-2
2-     Utilité et développement économique

2-1- emplois durables,
2-2- budget total*
2-3- productivité du travail.
Nombre ETP et variation % n-1/n-2
budget total annuel et variation n-1/n-2
budget total*/nombres d’heures travaillées (salariés et bénévoles)
3-    Utilité, développement social et sociétal


3-1- Solidarités internes
3-2- Solidarités externes
3-3- Insertion, intégration et lutte contre les discriminations.
% du budget temps*, réduction tarifs, dons…
% du budget temps, réduction tarifs, dons…
% du budget temps, réduction tarifs, dons…
4-     Utilité et développement humain

4-1- Formation et information (salariés, adhérents, usagers)
4-2- Maladie et accident du travail.
4-3- Echelle des salaires
% du budget temps*
% des heures travaillées (excepté congés maternité).
Indice le plus élevé/indice le plus bas
5-     Utilité environnementale et développement durable

5-1- Investissements HQE,
5-2- Maîtrise consommations énergie et consommables,
5-3- Sensibilisation au développement durable
% du budget investissement
variation de la part du budget n-1/n-2
% du budget temps
*Avec valorisation du bénévolat

L’expérimentation constitue aussi un terrain particulièrement fécond pour la recherche. En effet, la confrontation aux réalités des terrains associatifs permet d’affiner des approches et de les enrichir par l’observation et l’analyse. La recherche-développement est aussi une recherche-action qui met en tension des modèles abstraits avec des contextes et des pratiques diversifiés. Entre la logique de « montée en généralité » des analyses et la construction de modèles théoriques, d’une part, et les approches localisées et compréhensives d’autre part, il y a place pour une approche pédagogique et dialectique qui permet la rencontre et la confrontation de différents approches, différents lieux de production d’un savoir sur les pratiques et les représentations mobilisées.  

Alain PENVEN

Bibliographie

AMBLARD Henri, BERNOUX Philippe, HERREROS Gilles, LIVIAN Yves-Frédéric, Les nouvelles approches sociologiques des organisations, Seuil, 2004, 296p.
BARBIER, René, La recherche-action, Paris : Anthropos, 1996, 112 p.
BERNOUX, Philippe, Sociologie des organisations, Seuil/points, 1985, 378p.
BOLTANSKI Luc, THEVENOT Laurent, De la justification, Paris, Métaillé, 1987
CACERES Begnino, Regard neuf sur les autodidactes, Seuil, 1967, 190p.
CALLON Michel, LATOUR Bruno, La science telle qu’elle se fait, Paris La découverte, 1991 
CALLON Michel, LATOUR Bruno, La science et ses réseaux, Paris La Découverte, 1988
DESROCHE Henri, Mémoire d'un faiseur de livres, Edima, 1992, 274p.
DESROCHE Henri, Entreprendre d'apprendre, Les éditions ouvrières, 1991,
DESROCHE Henri, Histoires d'économies sociales, Syros, 1991, 264p.
DONZELOT Jacques, Faire société, Seuil, 2003, 263p.
DUBET François, Le déclin de l'institution, Seuil, 2002, 421p.
DUBOST Jean, L’intervention psycho-sociologique, Puf, 1987, 350p.’
FOUCAULT Jean-Baptiste, PIVETEAU Denis, Une société en quête de sens, Odile Jacob, 1995, 302p.
HESS, Rémy « histoire et typologie de la recherche-action », Revue Pour, Privat, Juin/Juillet 1983, N°90, pp. 9-16
HESS, Rémy, La sociologie d’intervention, Paris : PUF, 1981, 211p.
ION, Jacques, La fin des militants? L'atelier, 1997, 128p.
ION Jacques, le travail social en questions, DUNOD, 2005
LATOUR, Bruno, La sciences en action, Paris, La Découverte, 1989
LEWIN, Kurt, Psychologie dynamique, Paris, PUF, 1964, 296p.
MORIN, Edgar, Introduction à la pensée complexe, ESF, 1991, 158p.
PENVEN Alain, BONNY Yves, RONCIN Charles, Au cœur de la Cité, PUR/CCB, 2002, 283p.
STRAUSS Anselm;  La trame de la négociation, L'Harmattan, 1999, 265p.
TOURAINE Alain, Le retour de l'acteur, Fayard, 1984, 251p.
DUMONT F., <<Idéologie et savoir historique>>, Cahiers internationaux de sociologie, Vol. XXXV, Juillet/décembre 1963.
HERMELIN Christian, Les acquis sociodidactes, Pratiques de formation, Université Paris VIII, N° 41-42, Juin 2001
MARIE, Michel, Faut-il réinventer la dialectique? Revue de Géographie de Lyon, Vol.73, 2/1998
RODARY JF, Formation et éducation populaire, Revue internationale d'action communautaire, 3/43, Printemps 1980
SAEZ G., Education populaire, culture et pouvoir, Revue internationale d'action communautaire, 2/42/Automne 1979








[1] Stéredenn à Dinan, LVT à Berder, Ulamir Bro Glazik à Plonéis et Rhuys emploi à Sarzeau.
[2] DELPHES : Développer étudier les projets humains, économiques et sociaux.
[3] Ultérieurement la démarche Delphes sera testée au niveau de territoires et de réseaux nationaux et transnationaux de l’économie sociale et du développement solidaire. 
[4] Nous entendons par parties prenantes l’ensemble des acteurs –dirigeants, salariés, usagers, adhérents, partenaires- impliqués de près ou de loin dans la mise en œuvre du projet associatif. Cette appellation renvoie à la notion de « multistakeolders » par opposition à « multistockolders » soulignant ainsi la différence entre société de personnes et société de capitaux.
[5] Nous faisons référence à la définition proposée par le réseau EMES (Emergence de l’entreprise sociale en Europe :  www.emes.net)  et l’UCE (Université coopérative européenne, www.universite-cooperative;coop) ; Programme de recherche de la MIRE « L’économie sociale et solidaire en région », Collège Coopératif en Bretagne (en partenariat avec le LESSOR Rennes2), 2003.
[7] Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, Paris, L’Aube, 2003
[8] Dominique Meda, Qu’est-ce que la richesse, Paris, Aubier, 1999
[9] François Bloch Lainé, « identifier les associations de service social », Faire société, Syros, 1999, page 128 . M Parodi, « Les sciences sociales peuvent-elles légitimer les spécificités méritoires des associations ? Ibid.
[10] Jean Cadrey, Dictionnaire de l’autre économie, Desclée de Brouwer, 2005, page 522
[11] Jean-pierre Le Goff, la barbarie douce, la modernisation aveugle des entreprises et de l’école, La découverte, 1999, 124p.
[12] Henri Nogues, L’économie sociale et solidaire : l’utilité économique et l’utilité sociale, Actes du Forum du CCB, 2003.
[13] Pour une présentation de ces approches : Gérard Azoulay, Les théories du développement, Pur, 332p., 2002 et aussi les revues Sciences Humaines N°23, Economie et humanisme N° 320.
[14] LOADDT, loi d'orientation pour le développement durable du territoire.
[15] A SEN, L’économie est une science morale, La Découverte, 1999. PNUD, Rapport annuel sur le développement humain.
[16] Siméon Fongang, Université de Poitiers (www.unesco.org/most/dsp20.htm)
[17] Ce tableau est inspiré du rapport de synthèse réalisé par Jean Gadrey pour la MIRE dans le cadre du programme de recherche L’économie sociale en région. www.associations.gouv.fr
[18] Capital social : « Le stock de capital social collectif généré  au sein des interrelations sociales spécifiques à l’économie solidaire se manifeste en réseaux d’acteurs et en normes partagées. La mobilisation des acteurs impliqués dans des actions diverses de production de biens ou de services est conduite par des valeurs de justice et de solidarité. Ce capital social génère une reconnaissance mutuelle et une confiance entre les parties prenantes ayant des effets directs sur les résultats économiques et politiques de l’action mise en place, mais également de manière indirecte, sur les modes d’agir et de vivre en société. » Antoine Bévort, Elisabeth Bucolon, Dictionnaire de l’autre économie, Desclée de Brouwer, 2005, page 84

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L'INGENIERIE SOCIALE

A la ville et au monde