INDICATEUR DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN DURABLE ASSOCIATIF
Vers
un indicateur synthétique de développement humain durable associatif ?
(IDHD-A)
Ce texte rend compte de
l’expérimentation d’une démarche de diagnostic partagé de l’utilité et des
modèles de développement mobilisés par les associations[1].
L’objectif central de l’expérimentation désignée par l’acronyme « DELPHES[2]»,
est de concevoir, d’expérimenter et de formaliser, avec les acteurs associatifs[3],
des processus réflexifs collectifs fondés sur des outils théoriques et
méthodologiques novateurs dans une perspective de consolidation des projets et
de la participation démocratique des parties prenantes[4].
Cette initiative du Collège Coopératif en Bretagne, soutenue par le Conseil
Régional de Bretagne, s’inscrit dans le prolongement de travaux de recherche
sur les entreprises sociales[5]
et la conduite de démarches participatives d’élaboration de projets de
territoire. Mettant à profit une approche complexe du développement et une
pratique de la mobilisation et de la formation des acteurs, la démarche Delphes
vise la définition d’indicateurs alternatifs, de protocoles d’évaluation et de
procédures participatives et coopératives[6].
Dans un premier temps, nous avons élaboré un
référentiel à partir d’indicateurs « théoriques » d’utilité et de
développement. Ce référentiel, constitue la matrice de la construction des
outils de collecte et de traitement des données mobilisés. Il s’agit donc de
traduire des conceptions et des méthodes issues de la recherche, puis de les
confronter aux réalités observables, aux positions et opinions des acteurs et
de vérifier ainsi leur pertinence et leurs limites. Ce premier mouvement
descendant, top down, constitue le
point d’appui d’un deuxième mouvement ascendant, bottom up. En effet, le traitement des données comme le débat sur
les enseignements de l’enquête permettent la transformation, l’adaptation et
l’appropriation de ces outils. L’expérimentation offre donc l’opportunité de
travailler la transférabilité de la recherche et de confronter des approches
théoriques au feu des contextes et des enjeux associatifs.
Les indicateurs de l’utilité et
du développement
L’évaluation de l’utilité sociale s’inscrit, en
premier lieu, dans une tradition historique du mouvement de l’économie sociale
et solidaire qui donne la priorité à l’humain sur le capital, à l’intérêt
collectif et général sur l’enrichissement personnel. Cette préoccupation
rejoint les travaux récents (Patrick Viveret[7],
Dominique Méda[8])
sur la définition de la richesse et de nouveaux indicateurs de richesse prenant
en compte les externalités positives pour la société et aussi les externalités
négatives de l’activité sur l’environnement social et naturel. En second lieu,
les spécificités méritoires[9]
du secteur non-lucratif font aujourd’hui l’objet d’une exigence d’évaluation.
Ainsi, les statuts particuliers des associations appellent une justification de
leur utilité. Jean Gadrey, a proposé une définition complète et complexe de
l’utilité sociale que nous reprenons à notre compte en lui donnant une
dimension synthétique et opératoire. Pour cet auteur « L’activité d’une organisation d’économie solidaire a une utilité
sociale, ou une valeur sociétale, si elle a pour résultat constatable et, en
général, pour objectif explicite, au delà d’autres objectifs éventuels de
production de biens et de services destinés à des usagers individuels, de
contribuer à des objectifs collectifs ou sociétaux (ou « bénéfices
collectifs ») dont les principaux sont les suivants : la réduction
des inégalités économiques et sociales, y compris l’affirmation de nouveaux
droits ;la solidarité (nationale, ou locale, le lien social de proximité
et la sociabilité ;l’amélioration des conditions collectives du
développement humain durable (dont font partie l’éducation, la santé, la
culture, l’environnement, la démocratie. »[10]. Cette approche de l’utilité et de son évaluation qui suscite une réelle
mobilisation du monde de la recherche et des réseaux de l’économie sociale doit
faire l’objet d’une lecture critique et d’une analyse des enjeux politiques qui
justifient cette motivation récente pour ces démarches évaluatives. En effet,
le risque est bien réel de réduire les processus collectifs d’évaluation et
d’orientation des projets à une procédure normalisée qui imposerait au secteur
une technologie de l’évaluation dont les modèles implicites de rationalisation
ne seraient pas ou peu interrogés. Nous serions alors sur la pente de la
barbarie douce dénoncée par Jean-Pierre Le Goff[11].
Pourtant, le foisonnement actuel des initiatives en la matière, plaide pour une
mise en cohérence globale dans une perspective de dissémination. D’ailleurs,
notre expérimentation met en lumière des enjeux internes (management et
gouvernance) et des enjeux externes (reconnaissance et justification). Si ces
démarches permettent aux acteurs d’enrichir l’argumentaire qu’ils mobilisent
dans la négociation de moyens avec les pouvoirs publics, l’évaluation de
l’utilité associative ne doit pas être orientée uniquement vers la réponse aux
attentes des collectivités publiques. Cette démarche est aussi un puissant
levier de conscientisation, de formation et d’implication des acteurs qui ouvre
des perspectives de dynamisation des projets associatifs et de stimulation de
l’expression citoyenne, bref du renforcement des pratiques démocratiques.
D’ailleurs, Henri Noguès[12]
ironise sur cette attitude défensive de justification. Pour cet auteur « l’utilité sociale n’est pas le
vecteur de légitimation demandée par les acteurs eux-mêmes mais plutôt le champ
de bataille où ils se sont
retrouvés à la suite de pratiques associatives douteuses ». Il
souligne notamment l’impact de la transformation des relations entre les
associations et les partenaires publics qui se trouvent aujourd’hui ramenées à
une « relation de fournisseur à
client et leurs conventions de partenariat à de simples commandes de prestation
de service soumises aux règles des marchés publics ». Les risques de cette orientation des politiques
publiques, qui semble s’accentuer dans le contexte de l’union européenne au nom
du principe de concurrence non faussée du grand marché libéral, est fortement
présente à l’esprit des acteurs rencontrés aux cours de nos investigations.
Mais, si nous prenons
en compte, dans nos travaux les enjeux de l’utilité associative, nous donnons
une place centrale à la question du développement. Cette notion est associée à l’idée d’amélioration, de progrès.
Piaget l’a utilisée en psychopédagogie (développement de l’enfant); elle est
surtout utilisée en économie pour désigner la situation économique d’un pays :
pays développés, sous développés, en développement en référence au modèle de
croissance industrielle…A partir des années 60/70, dans le contexte de la
décolonisation et des difficultés persistantes rencontrées par les pays du tiers-monde les plans de
développement sont initiés afin d’assurer la croissance économique par
imposition du modèle occidental dominant. Diverses théories du développement
économique orientent les initiatives : approche libérale, marxiste,
auto-développement[13]. L’économie
sociale et solidaire en général, les Collèges Coopératifs en particulier sont
proches des valeurs et principes de l’auto-développement en référence notamment
aux travaux de Paolo Freiré (conscientisation et mobilisation des acteurs) ou
de Lebret (Economie et Humanisme, l’économie au service de l’homme). En France,
à cette même période, en réaction aux phénomènes de déclin de zones rurales,
des acteurs locaux se sont mobilisés pour défendre le principe de l'auto-développement ou développement
endogène. C’est au cours des années 1980, dans un contexte de crise urbaine,
que les politiques de la Ville permettront l’expérimentation de nouvelles
formes d’intervention territorialisées et transversales qualifiées de DSQ puis
de DSU. Les principes du développement social sont fréquemment mobilisés sur
différents territoires et domaines, l’intervention sociale départementale par
exemple. Aujourd’hui, deux notions émergent de manière significative: le
développement durable et le développement humain. L'expression de développement durable (sustainability)
est utilisée au plan international en 1987 dans le rapport Brundtland réalisé
pour l’ONU. Il s’agit de mettre en valeur des préoccupations environnementales
et sociales afin de répondre aux besoins du présent sans compromettre la satisfaction
des besoins des générations futures. L’expression sera reprise au sommet de la
terre de Rio (1992, ONU) et lors de l’adoption de l’agenda 21, programme de
développement durable pour le 21°siècle et notamment la convention sur le
changement climatique (refusée par les USA). Il était à l’ordre du jour du
sommet mondial du développement durable en Afrique du sud (26 août au 4 septembre 2002). En
France la LOADDT[14], officialise la référence à la durabilité en matière
d'aménagement et de développement. L’institut
français de l’environnement propose d'ailleurs une approche modulaire (9
modules et 307 indicateurs). Il s’agit de doter la France d’un outil de portée
nationale et internationale afin de considérer le développement par une
approche globale et non pas limitée aux indicateurs économiques (PIB) et de
croiser les dimensions environnementales sociales et économiques.
La
notion de développement humain s’inspire des travaux du prix Nobel d’économie
Amartya SEN qui a défini pour le PNUD (programme des Nations Unies pour le
développement) un indicateur synthétique de développement humain. Selon cet
auteur, promoteur d’une économie humaine et
morale[15]
« la mesure du développement humain
s’est faite par l’établissement d’un indicateur de développement humain (IDH)
retenant comme dimension l’éducation, la santé et la capacité de disposer d’un
revenu suffisant pour mener une vie décente. Le processus de développement
devrait créer un environnement favorable qui donne aux individus et aux
collectivités une chance de réaliser leurs potentialités et de mener une vie
créative, productive, conformément à leurs besoins et à leurs intérêts »[16].
En retenant
trois critères essentiels : l’espérance de vie, le niveau d’instruction et le
revenu, le PNUD effectue un rapport annuel à partir d’un outil comparatif :
l’indice de développement humain IDH (+ IPH indice de pauvreté humaine). En
référence aux droits de l’homme, il s’agit d’orienter les aides au
développement à partir de six objectifs: vivre longtemps et en bonne santé;
acquérir des connaissances; avoir accès aux ressources nécessaires pour vivre
dans des conditions décentes; créer des opportunités de créativité et de
productivité dans les sphères politiques, économiques et sociales; le droit à
la dignité, la maîtrise de sa destinée et le sentiment d’appartenance à une
communauté. (valeur d’équité, de durabilité). Ainsi, la formalisation de ces
concepts au plan international, trouve aujourd’hui des prolongements au plan
local, comme l’illustre la mise en œuvre de procédures
« agenda21local ». A partir de ces définitions, nous avons schématisé le développement
humain durable comme un système d’interactions et d’interdépendances entre
quatre dimensions: le développement social et culturel (niveau collectif), le
développement humain (niveau individuel), l’aménagement et le ménagement du
territoire et enfin le développement économique. Chaque dimension fait l’objet
d’une définition et d’une caractérisation à partir d’indicateurs quantitatifs
et qualitatifs renseignés par l’exploitation de données (outil de
positionnement du système d’acteurs). Nous pouvons, à partir de ce modèle
qualifier et hiérarchiser les logiques d’action prioritaires et secondaires.
Cette approche nous permet de dessiner des configurations diversifiées du
développement des entreprises ou projets territoriaux et de repérer des enjeux
stratégiques.
L’une des caractéristiques du secteur non lucratif est la combinaison
(hybridation) de ressources marchandes et non-marchandes, monétaires et non
monétaires. Afin de déterminer la structure des ressources et le degré
d’engagement dans trois formes d’économie (économie de marché, économie
administrée et économie du don) nous prenons en compte cette spécificité en
cherchant à valoriser le bénévolat et la plus value générées par cet engagement.
La valorisation du bénévolat qui se traduit par une monétarisation d’une action
volontaire est souvent contestée par les intéressés car elle présente des
risques et des limites (argument pour un désengagement des collectivités
publiques ; réduction du bénévolat à une valeur travail…). Partant de ce
cadre conceptuel et méthodologique, nous avons bâti un outil de positionnement
individuel par notation pour les différents membres du système d’acteurs
identifié. Le traitement des réponses et leur représentation graphique
permettent de travailler les écarts de notation et d’identifier et de
confronter les représentations. Nous prenons appui sur une approche de la
relation entre pratiques et représentations sociales qui infère que la
transformation des pratiques individuelles et collectives suppose une
transformation des représentations et réciproquement.
Référentiel des indicateurs de
l’utilité[17]
1.
UTILITE ECONOMIQUE
(marché et bassin
d’emploi)
|
2. UTILITE SOCIALE
(au sein du système d’acteurs)
|
3. UTILITE SOCIETALE
(Territoire et société)
|
4. UTILITE ECOLOGIQUE ET ENVIRONNEMENTALE
(Terre)
|
1.1. Création
d’emplois durables
1.2. Création
de richesses monétaires marchandes,
1.3. Création
de richesses monétaires non marchandes
1.4. Création
de richesses non monétaires
1.5. Achats
1.6. Investissements
1.7. Création
d’un capital social[18]
(réseau, notoriété, confiance) à finalité économique.
1.8. Innovations
technologiques
1.9. Innovations
sociales
Effets de développement local
|
2.1. Insertion professionnelle
2.2. Insertion sociale
2.3. Intégration minorités et lutte contre les
discriminations
2.4. Formation et compétences professionnelles
2.5. Promotion sociale
2.6. Socialisation
2.7. Sociabilité interne
2.8. Solidarités internes
2.9. Convivialité interne
2.10. Citoyenneté et démocratie interne
|
3.1. Services
à la communauté des membres
3.3 Services
à la collectivité
3.4. Développement
des réseaux sociaux
3.5. Augmentation
du capital social du territoire
3.6.Développement
de la participation citoyenne
3.7. Développement
des compétences et des qualifications
3.8. Diffusion
des innovations
3.9.Diffusion des
informations
3.10.
Renforcement des solidarités entre les
générations
3.11.
Renforcement des solidarités entre les
territoires
|
4.1. Respect
de la qualité environnementale
4.2. Maîtrise
des pollutions
4.3. Maîtrise
de la consommation de matières premières
4.4. Effort
de recyclage
4.5. Durabilité
des produits
4.6. Effort
d’information interne
4.7. Effort
d’information externe
4.8. Développement
durable de l’entreprise
4.9. Contribution
au développement durable du
territoire
4.10.
Contribution au développement durable de
la société
|
Référentiel
des indicateurs de développement
DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE
|
DEVELOPPEMENT SOCIAL
|
1-
qualité de la production de biens et de
services
2-
croissance du chiffre d’affaires
3-
croissance de l’emploi salarié
4-
autonomie financière
5-
autonomie vis-à-vis de la commande
publique
6-
capacité d’innovation
7-
compétitivité
8-
notoriété
9-
productivité
10- utilité
économique
|
1-
solidarités internes
2-
solidarités externes
3-
socialisation et resocialisation
4-
responsabilisation
5-
engagement citoyen
6-
créativité
7-
réseaux sociaux
8-
partenariats
9-
utilité sociétale
10- utilité
sociale
|
DEVELOPPEMENT HUMAIN
|
AMENAGEMENT ET MENAGEMENT DU TERRITOIRE
|
1-
sécurité
2-
bien être
3-
santé
4-
égalité de traitement
5-
promotion sociale et formation
6-
conditions matérielles
7-
participation parties prenantes
8-
transparence
9-
reconnaissance
10- liberté
d’expression
|
1-
qualité environnementale de la
production
2-
réduction des pollutions
3-
réduction de la consommation d’énergie
4-
réduction consommation matières
premières
5-
effort de recyclage des déchets
6-
sensibilisation des salariés
7-
sensibilisation des adhérents
8-
sensibilisation des bénéficiaires
9-
durabilité des produits
10- protection
environnement
|
Des entretiens
collectifs ont été menés avec les
participants à l’enquête de positionnement. Une présentation du traitement des
données a permis de proposer une approche comparative entre les associations,
d’une part, et entre les différentes catégories d’acteurs, d’autre part. La
réflexion collective sur les convergences et les divergences d’appréciation a
nourri un débat fécond qui a porté sur la méthode, les résultats obtenus, les
approfondissements nécessaires. L’entretien collectif est aussi un temps de
« révélation » des positions subjectives des acteurs mobilisés, un
moment de transition entre des représentations individuelles et la formation
d’une représentation collective étayée par le travail d’objectivation (lien
entre des faits réels et des appréciations).
Tout d’abord, il
convient de souligner que les notions mobilisées comme les procédures d’enquête
présentent une complexité qui déroute nombre de volontaires. En effet, si la
démarche a pour ambition de transférer les acquis de la recherche en mobilisant
des méthode de la formation continue et de l’éducation populaire, cette
traduction des concepts et des modèles théoriques apparaît difficile, compte
tenu de l’hétérogénéité des publics rencontrés et du temps limité consacré à la
sensibilisation. La présentation argumentée des notions, comme la formulation
des questions et le mode de passation, doivent faire l’objet d’une
simplification. Il s’agit de concilier une démarche scientifique rigoureuse et
une pédagogie de l’évaluation et de la participation adaptée aux attentes des
acteurs.
Ensuite, nous avons
retenu les principes du volontariat et de la diversité pour construire la
population de notre enquête. Ce choix, qui se justifie par la limitation des
moyens d’investigation le caractère expérimental de l’enquête présente
toutefois des limites. Ces limites n’ont pas échappées à la perspicacité de nos
répondants. Tout d’abord, le choix de quatre associations oeuvrant dans des
domaines variés rend la comparaison délicate et il est souhaité, par les participants
des approches comparatives d’associations oeuvrant dans le même domaine
d’activité. Cependant, l’analyse comparée de ces quatre associations permet de
mettre en lumière des trajectoires associatives et des contextes locaux, et
aussi de comprendre des positionnements variables qui traduisent l’inscription
dans des logiques de marché concurrentiel ou de délégation de service public.
Nous pouvons
également souligner que la constitution du système des parties prenantes est
fondée sur le volontariat et la cooptation. Ce sont donc des personnes en
proximité avec les instances
dirigeantes des associations qui sont mobilisées. Nous pouvons donc interroger
la représentativité de ces acteurs et prendre en compte leur degré d’empathie à
l’égard des responsables de ces associations. A l’inverse, cette proximité
renforce la capacité de positionnement en raison du degré d’implication et
d’information des personnes.
Quel développement humain
durable ? Les leçons du positionnement des acteurs
La restitution des
premiers résultats issus du traitement des 50 questionnaires d’auto
positionnement a permis, par un effet miroir, de schématiser une représentation
collective, construite par hypothèse comme le cumul des appréciations formulées
par les répondants. Si chacun s’accorde à reconnaître la dimension subjective
et imprécise de la notation, elle permet néanmoins de repérer de grandes
tendances et aussi d’identifier des écarts et de tenter de les comprendre.
En premier lieu,
l’enquête met en évidence une représentation assez homogène et positive de la
dimension sociale du développement associatif. Ces convergences peuvent
traduire une culture associative partagée, une adhésion collective à des
principes (solidarité, démocratie, éducation) et une reconnaissance de la
contribution effective de l’association dans ce domaine. Si nous pouvons
ironiser sur la satisfaction qui émane des réponses, nous observons des
variations entre les associations et des variations selon les statuts. Nous
pouvons également remarquer des effets de statuts et de position sur la
notation. Les dirigeants, élus et salariés, ont tendance à attribuer des notes
plus élevées que les salariés les plus éloignés des pôles de décision.
En ce qui concerne
les partenaires et les usagers, il ont tendance soit à noter « fort »
soit à ne pas répondre, ce qui traduit aussi leur degré d’information sur le
fonctionnement des structures. La dimension du développement économique
apparaît contrastée, notamment en ce qui concerne la question de l’emploi et du
volume d’activités. Ces écarts sont à
référer avec le contexte particulier de la remise en cause de
dispositifs d’emplois aidés (emploi jeunes et postes d’insertion). Notons
toutefois le dynamisme de ces associations et leur capacité à diversifier leurs
activités et à étendre leur rayonnement territorial. L’approche des indicateurs
de développement humain met en évidence de appréciations contrastées selon les
statuts. Si la satisfaction des besoins et la recherche de bien-être est
centrée sur l’usager, certains salariés vivent leur implication professionnelle
dans un climat de stress et attentent une reconnaissance accrue. L’enquête
permet de soulever la délicate question des équilibres à trouver entre les
dimensions économiques, sociales et humaines du développement associatif. Par ailleurs, si chacun adhère aux
principes du développement durable et de la qualité environnementale, dans les
pratiques ce n’est pas le cas. Les plus mauvais scores enregistrés par les
associations le sont dans cette dimension du développement durable.
Les
participants apprécient la
capacité de la démarche Delphes à rendre lisible l’utilité de l’association et
sa complexité. Cette photographie à un instant t suscite une réflexion
partagée, un échange sur des questions rarement traitées dans un cadre qui
permet la co-construction d’outils et leur appropriation. Ils adhèrent
généralement à cette approche qui donne toute sa place à la dimension humaine
et sociale de l’action associative et relativise la centralité des enjeux économiques,
qui restent néanmoins une préoccupation partagée (équilibre, pérennité des
activités et des emplois). Les échanges sur les résultats de la première étape
permettent d’interroger la pertinence des logiques d’évaluation qui s’imposent
aux associations. Autrement dit, face à une évaluation technocratique venant
d’en haut est-il possible de proposer une évaluation démocratique venant d’en
bas ? Le conventionnement, l’agrément, la réponse à des appels à projets
européens imposent systématiquement une procédure d’évaluation. Or, compte tenu
de la diversité des financements mobilisés, les outils d’évaluation ne sont pas
homogènes et cela pose aux équipes
des problèmes de méthode et d’organisation.
D’ailleurs,
l’enquête montre la faible formalisation des outils et le recours à des
approches « impressionnistes» de l’évaluation. Pour les élus locaux
rencontrés l’évaluation apparaît comme une nécessité afin qu’il puissent
construire leurs décisions d’intervention financière à partir de données fiables
et argumentées. Ils souhaitent pouvoir apprécier les résultats obtenus grâce à
l’intervention publique. Cette question de l’argumentation est aussi au cœur
des enjeux externes de l’évaluation et de la reconnaissance de l’utilité
associative. Pour les responsables,
la recherche d’indicateurs pertinents et opératoires permet d’enrichir un
argumentaire et de le mobiliser dans la promotion des projets et la négociation
de financements. Si chacun s’accorde sur la nécessité d’établir des indicateurs
et des outils simples et utilisables au quotidien, ils apparaît aussi que tout
n’est pas évaluable, et qu’il ne faut pas réduire l’activité associative aux
seuls indicateurs mesurables. Le renforcement du lien social par exemple, comme
l’impact d’une action de promotion de la santé ne peuvent s’apprécier que dans
la durée avec une approche multifactorielle.
Conclusion :
vers un indicateur synthétique de développement humain durable
associatif ? (IDHD-A)
Comme
nous avons pu le démontrer dans cette communication, nous avons construit et
mis en œuvre une démarche et des
outils prenant en compte les approches alternatives de la richesse et de
l’utilité. Cette traduction opératoire d’outils théoriques et méthodologiques
s’inscrit dans une perspective de valorisation des recherches et de stimulation
des apprentissages collectifs. Si nous avons souligné les difficultés
rencontrées et les obstacles que constituent un vocabulaire spécialisé et des
méthodologies de la recherche, l’expérimentation a suscité intérêt et débat et
à contribué, à sa mesure et dans la limite des moyens mis en œuvre, à diffuser
une culture de l’évaluation alternative et novatrice. Cette démarche et ces
outils sont perfectibles. Ce sont des supports techniques qui permettent
d’accompagner des processus collectifs. Et c’est bien là l’enjeu de ce
programme d’ouvrir des perspectives et d’offrir aux acteurs associatifs
l’opportunité de renforcer
leurs projets et de contribuer à leur reconnaissance.
Vers
un indicateur synthétique de développement humain durable associatif ?
(IDHD-A)
Indicateurs
|
Variables
|
Mode de calcul
|
1-
Démocratisation et renouvellement
|
1-1
administrateurs de moins de 30 ans,
1-2
administratrices,
1-3
administrateurs actifs ouvriers ou
employés.
|
% n-1 et variation n-2
% n-1 et variation n-2
% n-1 et variation n-2
|
2-
Utilité et développement économique
|
2-1- emplois durables,
2-2- budget total*
2-3- productivité du travail.
|
Nombre ETP et variation % n-1/n-2
budget total annuel et variation n-1/n-2
budget total*/nombres d’heures travaillées
(salariés et bénévoles)
|
3-
Utilité, développement social et
sociétal
|
3-1- Solidarités internes
3-2- Solidarités externes
3-3- Insertion, intégration et lutte contre les
discriminations.
|
% du budget temps*, réduction tarifs, dons…
% du budget temps, réduction tarifs, dons…
% du budget temps, réduction tarifs, dons…
|
4-
Utilité et développement humain
|
4-1- Formation et information (salariés,
adhérents, usagers)
4-2- Maladie et accident du travail.
4-3- Echelle des salaires
|
% du budget temps*
% des heures travaillées (excepté congés
maternité).
Indice le plus élevé/indice le plus bas
|
5-
Utilité environnementale et
développement durable
|
5-1- Investissements HQE,
5-2- Maîtrise consommations énergie et
consommables,
5-3- Sensibilisation au développement durable
|
% du budget investissement
variation de la part du budget n-1/n-2
% du budget temps
|
*Avec valorisation du bénévolat
L’expérimentation
constitue aussi un terrain particulièrement fécond pour la recherche. En effet,
la confrontation aux réalités des terrains associatifs permet d’affiner des
approches et de les enrichir par l’observation et l’analyse. La
recherche-développement est aussi une recherche-action qui met en tension des
modèles abstraits avec des contextes et des pratiques diversifiés. Entre la
logique de « montée en généralité » des analyses et la construction
de modèles théoriques, d’une part, et les approches localisées et
compréhensives d’autre part, il y a place pour une approche pédagogique et
dialectique qui permet la rencontre et la confrontation de différents
approches, différents lieux de production d’un savoir sur les pratiques et les
représentations mobilisées.
Alain PENVEN
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SAEZ
G., Education populaire, culture et pouvoir, Revue internationale d'action
communautaire, 2/42/Automne 1979
[1]
Stéredenn à Dinan, LVT
à Berder, Ulamir Bro Glazik à Plonéis et Rhuys emploi à Sarzeau.
[2] DELPHES : Développer
étudier les projets humains, économiques et sociaux.
[3]
Ultérieurement la démarche Delphes sera testée au niveau de territoires et de
réseaux nationaux et transnationaux de l’économie sociale et du développement
solidaire.
[4]
Nous entendons par parties prenantes l’ensemble des acteurs –dirigeants,
salariés, usagers, adhérents, partenaires- impliqués de près ou de loin dans la
mise en œuvre du projet associatif. Cette appellation renvoie à la notion de
« multistakeolders » par opposition à « multistockolders »
soulignant ainsi la différence entre société de personnes et société de
capitaux.
[5]
Nous faisons référence à la définition proposée par le réseau EMES (Emergence
de l’entreprise sociale en Europe :
www.emes.net) et l’UCE (Université coopérative
européenne, www.universite-cooperative;coop) ; Programme de recherche de
la MIRE « L’économie sociale et solidaire en région », Collège
Coopératif en Bretagne (en partenariat avec le LESSOR Rennes2), 2003.
[7]
Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, Paris, L’Aube, 2003
[8]
Dominique Meda, Qu’est-ce que la richesse, Paris, Aubier, 1999
[9]
François Bloch Lainé, « identifier les associations de service
social », Faire société, Syros, 1999, page 128 . M Parodi, « Les
sciences sociales peuvent-elles légitimer les spécificités méritoires des
associations ? Ibid.
[11] Jean-pierre
Le Goff, la barbarie douce, la modernisation aveugle des entreprises et de
l’école, La découverte, 1999, 124p.
[12]
Henri Nogues, L’économie sociale et solidaire : l’utilité économique et
l’utilité sociale, Actes du Forum du CCB, 2003.
[13]
Pour une présentation de ces approches : Gérard Azoulay, Les théories du développement, Pur,
332p., 2002 et aussi les revues Sciences Humaines N°23, Economie et humanisme
N° 320.
[15]
A SEN, L’économie est une science morale, La Découverte, 1999. PNUD, Rapport
annuel sur le développement humain.
[16]
Siméon Fongang, Université de Poitiers (www.unesco.org/most/dsp20.htm)
[17] Ce tableau est inspiré du
rapport de synthèse réalisé par Jean Gadrey pour la MIRE dans le cadre du
programme de recherche L’économie sociale en région. www.associations.gouv.fr
[18]
Capital social : « Le stock de capital social collectif
généré au sein des interrelations
sociales spécifiques à l’économie solidaire se manifeste en réseaux d’acteurs
et en normes partagées. La mobilisation des acteurs impliqués dans des actions
diverses de production de biens ou de services est conduite par des valeurs de
justice et de solidarité. Ce capital social génère une reconnaissance mutuelle
et une confiance entre les parties prenantes ayant des effets directs sur les
résultats économiques et politiques de l’action mise en place, mais également
de manière indirecte, sur les modes d’agir et de vivre en société. »
Antoine Bévort, Elisabeth Bucolon, Dictionnaire de l’autre économie, Desclée de
Brouwer, 2005, page 84
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