LES TERRITOIRES MOUVANTS DE LA PRÉVENTION SPÉCIALISÉE
Entre espaces vécus des jeunes
et coercitions administratives, la délicate construction d’un ordre territorial
négocié
La montée en puissance des coercitions managériales[1],
l’imposition des techniques évaluatives, l’exigence d’une communication
transparente sur l’action éducative à l’adresse des dirigeants et des élus,
conduisent à une reformulation du positionnement des équipes de prévention et à
une transformation contrainte du référentiel d’intervention. Le plus souvent gérées
par des associations de Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence conventionnées
avec les Villes et les Départements, les équipes de prévention sont soumises à une
double injonction de reconnaissance et de légitimation, celle de l’usager et
celle de la tutelle administrative. Instruit par les enseignements d’une
intervention sociologique appuyant la réalisation d’un diagnostic de
positionnement des équipes de prévention spécialisée de l’agglomération
rennaise[2],
nous considérons que les territoires construits par les professionnels de la prévention
sont « mouvants ». Ils offrent une consistante incertaine car ils se
trouvent placés en tension entre la labilité des conduites juvéniles et les
injonctions administratives budgétaires et réglementaires visant une
rationalisation de l’action éducative. Afin de surmonter cette tension qui est source
de controverses entre les acteurs, une démarche de production de connaissances
a été entreprise afin de bâtir des argumentaires susceptibles de convaincre les
financeurs de soutenir et de pérenniser cette forme d’action éducative qu’il
est, par définition, délicate à rendre lisible. Le rapport au territoire
constitue une épreuve (J.ION[3])
pour les professionnels qui gardent néanmoins leur capacité d’interpellation et
de négociation. Michel AUTES[4],
lors d’un séminaire de la DIV consacré aux projets sociaux de territoire avait
proposé une distinction éclairante entre
politiques territorialisées et politiques territoriales : « Une politique territorialisée décline
sur le territoire des politiques
nationales et institutionnelles. Elle demeure de l’ordre de l’implémentation
d’une politique centrale (..) Une politique territoriale est une politique « produite »
par le territoire ». Prenant en compte cette distinction, nous
ajoutons que les acteurs sont en capacité de construire et de négocier (A.
STRAUSS[5])
un ordre territorial articulant leurs initiatives locales avec les différentes échelles territoriales
de définition des politiques sociales (Métropole, Département, Etat, Europe).
Dans cette perspective, nous assistons à une reformulation incertaine du
positionnement et des compétences de la prévention spécialisée sur les
territoires.
Alain PENVEN
Professeur des Universités
Département de Sociologie - ARS (EA 3149)
[1]
Michel CHAUVIERE, Trop de gestion tue le social, La Découverte, 2007
[2]
Diagnostic de territoire appliqué à la prévention spécialisée réalisée par le
Collège Coopératif à la demande de la Sauvegarde de l’enfance d’Ille et Vilaine
aux cours des années 2010, 2011.
[3]
Jacques ION, Le travail social à l’épreuve du territoire, Privat, 1990
[4]
Expérimentation nationale des projets sociaux de territoire, 2003, DIV/ANRU
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