TERRITOIRES ET SOLIDARITES NOUVELLES
Territoires et
solidarités[1]
Pour construire mon
intervention, j’ai reformulé le thème du séminaire[2]
en trois questions : Comment penser les relations entre inscription
territoriale et production de solidarités nouvelles ? Comment agir en proximité
avec les personnes vulnérables pour tisser des liens sociaux? Comment bâtir une
vision stratégique située dans les territoires et dans le contexte du temps
présent et d’un horizon à dessiner?
J’ai structuré mon intervention en trois parties. Tout d’abord, je vais
tenter de définir les notions de territoire et de solidarité ; ensuite,
j’aborderai la question du changement et des dynamiques territoriales.
Autrement dit, je vous propose d’examiner ce qui bouge ou ce qui va bouger sur
les territoires, d’identifier quels sont les risques, quelles sont les
opportunités pour une fondation comme la votre? Enfin, j’aborderai la question
de l’émergence de nouvelles solidarités qui sont portées par des forces de
créativité collective et fondées sur le partage et la convivialité. Pour
conclure, je poserai quelques questions qui me semblent traverser le projet de
la Fondation Massé Trévidy afin de nourrir le débat et les travaux collectifs.
Territoires
Il est utile de
distinguer et de définir différentes manières de penser les territoires : 1- le
territoire du politique (collectivités publiques et institutions), 2- le
territoire vécu des groupes et des individus, 3- le territoire représenté comme
construction identitaire médiatisée 4- enfin, le territoire projet comme espace
de développement (économique, social, culturel). On peut définir le territoire
du politique de manière élémentaire en termes de pouvoirs et de frontières.
Mais il faut aussi prendre en compte d’autres dimensions importantes, celles de
la compétence légitime, des modes de régulation territoriale (gouvernance
démocratique) et des efforts de communication qui sont déployés pour renforcer
une appartenance, une identité, une cohésion. Si les réformes territoriales
sont aussi difficiles à conduire en France c’est principalement parce qu’elles
touchent aux pouvoirs et aux identités. J’ajoute que les institutions sociales
et médico-sociales, par mimétisme, isomorphisme[3]
s’organisent aussi à partir d’un contrôle de leurs territoires et l’affirmation
d’une compétence légitime. Le problème de notre organisation territoriale,
c’est le grand nombre d’échelons territoriaux, son coût (investissements et
fonctionnement), et la complexité de la répartition des compétences (problème accentué
par la clause de compétence générale qui vient d’être supprimée).
Il apparaît donc nécessaire de simplifier, de faire des économies et de mieux répartir les compétences. Dans le contexte de la construction européenne, l’heure est aux grandes régions, aux grandes métropoles. En ce qui concerne l’action sociale et médico-sociale, la disparition des Départements envisagée à l’horizon 2020 posera la question de la répartition des compétences entre les intercommunalités et les Régions. Pour vous Fondation, cette nouvelle carte administrative, qui devrait être mise en place progressivement va impacter la manière dont vous allez vous positionner sur les nouveaux territoires de l’action publique et avec de nouveaux acteurs territoriaux aux compétences clarifiées. De mon point de vue la suppression des Départements est un serpent de mer, tout le monde en parle... Tout dépendra des échéances de 2017, voire des surprises[4] de notre vie politique. Il semblerait que le MRG ait négocié le maintien des départements ruraux en échange d’une participation et d’un soutien au gouvernement Vals 2. Nous aurions alors une organisation administrative à géométrie variable associant Régions, Métropoles, et départements ruraux ? Ainsi, dans la perspective de la suppression du Département et du transfert de ses compétences entre BMO et QC, la Fondation sera amenée à se positionner auprès des deux « métropoles » finistériennes[5], l’une au Nord, l’autre au Sud !
Le territoire vécu et pratiqué par des groupes et des individus est d’une autre nature. C’est un espace sensible construit à partir d’opportunités, de choix et de contraintes, notamment en matière de logement et de mobilités. Nous sommes très inégaux dans notre rapport au territoire et il faut bien considérer avec Pierre Bourdieu[6] les effets de lieux qui assignent et désignent. Ce que dit Bourdieu c’est qu’il n’y a pas un espace géographique qui ne soit organisé et hiérarchisé en fonction des hiérarchies sociales. On retrouve ici les questions classiques en sociologie urbaine de ségrégation, de relégation, de séparatisme social. Ce phénomène de décohésion sociale généré par le renforcement des inégalités justifie une mobilisation vigoureuse et durable en termes de développement social et de renforcement des liens sociaux. Autre problème, l’inégal accès à la mobilité qui va réduire les opportunités et renforcer les frustrations, notamment chez les jeunes des quartiers dits sensibles. Un autre sociologue, Mark Granovetter[7] a souligné la force des liens faibles générés par la mobilité et les opportunités qu’offrent de nouvelles rencontres pour l’inclusion.
La question des identités territoriales n’est pas simple à appréhender car elle est le fruit de longs processus historiques de définition collective d’une image valorisante et stéréotypée qui suscite un attachement. Ce n’est probablement pas un hasard si le nouveau découpage des régions (2014) ne touche ni à la Corse, ni à la Bretagne. Cette identification positive à un territoire agit sur les mobilisations territoriales, renforce le capital social, est propice à l’affirmation de valeurs…avec les risques du localisme et du nationalisme, une vision étroite et bornée du territoire en quelque sorte. L’enjeu est de développer un capital social des territoires fondé sur l’engagement, la confiance, la réciprocité[8]. Ce patrimoine collectif doit beaucoup aux capacités d’engagement et de créativité des acteurs du territoire et notamment des acteurs de la société civile. Enfin, le territoire peut être conçu comme un espace de développement de projets, économique, social, culturel, situé au regard des enjeux de la construction européenne et de la mondialisation. La philosophie générale portée par la DATAR, l’Union européenne, l’OCDE c’est la constitution d’un archipel des grandes Régions organisées autour de métropoles puissantes et capables de stimuler une économie de la connaissance et de l’innovation.
Cette vision stratégie est sensé conduire nos économies à s’imposer sur les marchés internationaux. Il s’agit de concentrer les fonctions de commandement, d’investissement, d’ingénierie et de recherche développement afin d’atteindre une « masse critique » moteur de développement. Notons que la réforme actuelle des Universités, qui vise la création de communautés d’universités et d’établissements à l’échelle interrégionale, va dans le sens de la concentration des moyens de l’excellence et de la performance. Dans cette perspective de polarisation, certains territoires sont exposés plus que d’autres aux effets de la mondialisation des échanges et de la recomposition du capitalisme, la situation de l’agro-alimentaire breton en apporte la preuve. A cette vision dominante, mais discutable, qui justifie les réformes actuelles, il faut ajouter l’attention accordée, notamment en Bretagne à l’économie résidentielle et à l’Economie Sociale et Solidaire.
Nous voyons se dessiner au cœur même de nos territoires une différenciation des logiques économiques qui exposent aux forces de restructuration et de manière variable des populations qui se trouvent confrontées à des défis qu’ils ne maitrisent pas toujours. Les solidarités collectives et la régulation politique sont de nature à tempérer les effets de ces inégalités de position et d’exposition aux risques. A partir de ces différentes approches des territoires, comment penser les dynamiques territoriales et leurs cohérences? On peut identifier deux logiques classiques, deux mouvements : la logique descendante de territorialisation des politiques publiques (Top down); la logique ascendante de développement territorial (Bottom up). Michel Autes[9] lors d’un séminaire organisé par la DIV pour les chefs de projet CUCS avait proposé une définition éclairante. Il distinguait la territorialisation des politiques publiques, d’une part, et les politiques territoriales, d’autre part. La territorialisation des politiques publiques, au nom du principe d’égalité républicaine, va déployer sur l’ensemble du territoire national et ultra-marin les dispositifs et les crédits d’intervention. Cette logique s’inscrit dans la tradition aménagiste du technocratisme gaullien. En revanche, les politiques territoriales sont pensées, par ce spécialiste de l’action sociale élu du Nord pas de Calais, comme le fruit de la mobilisation collective des acteurs sur un territoire.
Pour ma part, je pense que cette distinction duale est éclairante mais simpliste. L’observation attentive de la genèse des politiques publiques et de leurs réformes montre de manière systématique une relation dynamique (dans le sens de la construction de rapports de pouvoirs) et dialectique (dans le sens d’un dialogue tonique et interactif) entre les acteurs du niveaux local et le pouvoir central. Ce pouvoir périphérique est particulièrement actif dans le champ des politiques sociales. Face à cette complexité, il est utile de revenir à un slogan ancien : penser globalement, agir localement afin de penser les articulations à plusieurs échelles.
Enfin, et c’est un point que je ne peux développer longuement, il faut aussi tenir compte de l’impact d’une société en réseaux[10] (matériels, immatériels) qui favorise l’émancipation à l’égard de la responsabilité territoriale. Ainsi, acteurs et entreprises peuvent se conduire comme de véritables prédateurs à la recherche de ressources territoriales (ou d’aides publiques) sans se soucier aucunement des conséquences territoriales de leurs logiques d’exploitation et d’accroissement du capital[11].
Il apparaît donc nécessaire de simplifier, de faire des économies et de mieux répartir les compétences. Dans le contexte de la construction européenne, l’heure est aux grandes régions, aux grandes métropoles. En ce qui concerne l’action sociale et médico-sociale, la disparition des Départements envisagée à l’horizon 2020 posera la question de la répartition des compétences entre les intercommunalités et les Régions. Pour vous Fondation, cette nouvelle carte administrative, qui devrait être mise en place progressivement va impacter la manière dont vous allez vous positionner sur les nouveaux territoires de l’action publique et avec de nouveaux acteurs territoriaux aux compétences clarifiées. De mon point de vue la suppression des Départements est un serpent de mer, tout le monde en parle... Tout dépendra des échéances de 2017, voire des surprises[4] de notre vie politique. Il semblerait que le MRG ait négocié le maintien des départements ruraux en échange d’une participation et d’un soutien au gouvernement Vals 2. Nous aurions alors une organisation administrative à géométrie variable associant Régions, Métropoles, et départements ruraux ? Ainsi, dans la perspective de la suppression du Département et du transfert de ses compétences entre BMO et QC, la Fondation sera amenée à se positionner auprès des deux « métropoles » finistériennes[5], l’une au Nord, l’autre au Sud !
Le territoire vécu et pratiqué par des groupes et des individus est d’une autre nature. C’est un espace sensible construit à partir d’opportunités, de choix et de contraintes, notamment en matière de logement et de mobilités. Nous sommes très inégaux dans notre rapport au territoire et il faut bien considérer avec Pierre Bourdieu[6] les effets de lieux qui assignent et désignent. Ce que dit Bourdieu c’est qu’il n’y a pas un espace géographique qui ne soit organisé et hiérarchisé en fonction des hiérarchies sociales. On retrouve ici les questions classiques en sociologie urbaine de ségrégation, de relégation, de séparatisme social. Ce phénomène de décohésion sociale généré par le renforcement des inégalités justifie une mobilisation vigoureuse et durable en termes de développement social et de renforcement des liens sociaux. Autre problème, l’inégal accès à la mobilité qui va réduire les opportunités et renforcer les frustrations, notamment chez les jeunes des quartiers dits sensibles. Un autre sociologue, Mark Granovetter[7] a souligné la force des liens faibles générés par la mobilité et les opportunités qu’offrent de nouvelles rencontres pour l’inclusion.
La question des identités territoriales n’est pas simple à appréhender car elle est le fruit de longs processus historiques de définition collective d’une image valorisante et stéréotypée qui suscite un attachement. Ce n’est probablement pas un hasard si le nouveau découpage des régions (2014) ne touche ni à la Corse, ni à la Bretagne. Cette identification positive à un territoire agit sur les mobilisations territoriales, renforce le capital social, est propice à l’affirmation de valeurs…avec les risques du localisme et du nationalisme, une vision étroite et bornée du territoire en quelque sorte. L’enjeu est de développer un capital social des territoires fondé sur l’engagement, la confiance, la réciprocité[8]. Ce patrimoine collectif doit beaucoup aux capacités d’engagement et de créativité des acteurs du territoire et notamment des acteurs de la société civile. Enfin, le territoire peut être conçu comme un espace de développement de projets, économique, social, culturel, situé au regard des enjeux de la construction européenne et de la mondialisation. La philosophie générale portée par la DATAR, l’Union européenne, l’OCDE c’est la constitution d’un archipel des grandes Régions organisées autour de métropoles puissantes et capables de stimuler une économie de la connaissance et de l’innovation.
Cette vision stratégie est sensé conduire nos économies à s’imposer sur les marchés internationaux. Il s’agit de concentrer les fonctions de commandement, d’investissement, d’ingénierie et de recherche développement afin d’atteindre une « masse critique » moteur de développement. Notons que la réforme actuelle des Universités, qui vise la création de communautés d’universités et d’établissements à l’échelle interrégionale, va dans le sens de la concentration des moyens de l’excellence et de la performance. Dans cette perspective de polarisation, certains territoires sont exposés plus que d’autres aux effets de la mondialisation des échanges et de la recomposition du capitalisme, la situation de l’agro-alimentaire breton en apporte la preuve. A cette vision dominante, mais discutable, qui justifie les réformes actuelles, il faut ajouter l’attention accordée, notamment en Bretagne à l’économie résidentielle et à l’Economie Sociale et Solidaire.
Nous voyons se dessiner au cœur même de nos territoires une différenciation des logiques économiques qui exposent aux forces de restructuration et de manière variable des populations qui se trouvent confrontées à des défis qu’ils ne maitrisent pas toujours. Les solidarités collectives et la régulation politique sont de nature à tempérer les effets de ces inégalités de position et d’exposition aux risques. A partir de ces différentes approches des territoires, comment penser les dynamiques territoriales et leurs cohérences? On peut identifier deux logiques classiques, deux mouvements : la logique descendante de territorialisation des politiques publiques (Top down); la logique ascendante de développement territorial (Bottom up). Michel Autes[9] lors d’un séminaire organisé par la DIV pour les chefs de projet CUCS avait proposé une définition éclairante. Il distinguait la territorialisation des politiques publiques, d’une part, et les politiques territoriales, d’autre part. La territorialisation des politiques publiques, au nom du principe d’égalité républicaine, va déployer sur l’ensemble du territoire national et ultra-marin les dispositifs et les crédits d’intervention. Cette logique s’inscrit dans la tradition aménagiste du technocratisme gaullien. En revanche, les politiques territoriales sont pensées, par ce spécialiste de l’action sociale élu du Nord pas de Calais, comme le fruit de la mobilisation collective des acteurs sur un territoire.
Pour ma part, je pense que cette distinction duale est éclairante mais simpliste. L’observation attentive de la genèse des politiques publiques et de leurs réformes montre de manière systématique une relation dynamique (dans le sens de la construction de rapports de pouvoirs) et dialectique (dans le sens d’un dialogue tonique et interactif) entre les acteurs du niveaux local et le pouvoir central. Ce pouvoir périphérique est particulièrement actif dans le champ des politiques sociales. Face à cette complexité, il est utile de revenir à un slogan ancien : penser globalement, agir localement afin de penser les articulations à plusieurs échelles.
Enfin, et c’est un point que je ne peux développer longuement, il faut aussi tenir compte de l’impact d’une société en réseaux[10] (matériels, immatériels) qui favorise l’émancipation à l’égard de la responsabilité territoriale. Ainsi, acteurs et entreprises peuvent se conduire comme de véritables prédateurs à la recherche de ressources territoriales (ou d’aides publiques) sans se soucier aucunement des conséquences territoriales de leurs logiques d’exploitation et d’accroissement du capital[11].
Solidarités
Abordons à présent la
question des solidarités. On peut grossièrement distinguer trois formes
principales : les solidarités privées fondées sur des liens de filiation, de
conjugalité, de voisinage, d’amitié. Ces solidarités sont structurées par des
liens forts (amour, amitié, responsabilité) et elles sont dépendantes de la
capacité des individus à tisser des liens et à les maintenir. Elles sont aussi
fortement impactés par l’affirmation de l’individualisme moderne, les
transformations des formes familiales et leur recomposition; elle sont
fragilisées par les logiques de séparatisme social, les stratégies
résidentielles, scolaires, sportives et culturelles…de distinction. Les
solidarités publiques se déploient par la mise en œuvre de politiques et de
dispositifs d’aide, de protection, d’insertion…
Le problème c’est notre système de protection sociale est confronté à un effet de ciseau : une demande sociale qui augmente et des moyens qui manquent pour maintenir un haut niveau de protection (réformes et maitrise des déficits). Enfin, les solidarités collectives portées par des acteurs qui se mobilisent en collectifs, associations et réseaux et qui prennent des initiatives sociales le plus souvent à l’échelle de territoires et de réseaux de territoires (solidarité internationale) pour résoudre les problèmes identifiés. Que retenir de cette lecture d’une recomposition des solidarités? Tout d’abord, au cours d’une période de rareté de moyens et d’efforts de réduction des déficits publics, la tendance est aux coups de rabots, aux réformes, à la remise en cause des acquis (réformes des retraites, des politiques de santé, des prestations). Il faut faire mieux avec moins.
Ensuite, nous assistons progressivement à une recomposition des contributions des différentes formes de solidarités. Nous constatons aussi la valorisation des solidarités fondées sur l’engagement volontaire, le bénévolat, la philanthropie, la charité rénovée. Enfin, les associations qui sont des acteurs majeurs de la production de solidarités collectives construisent des partenariats avec les pouvoirs publics. Souvent initiatrices de réponses pragmatiques à des situations sociales préoccupantes, elles vivent une relation complexe avec les pouvoirs publics, relation marquée par la reconnaissance et les contraintes d’une régulation tutélaire du « marché » et d’une gouvernance par les instruments[12]
Le problème c’est notre système de protection sociale est confronté à un effet de ciseau : une demande sociale qui augmente et des moyens qui manquent pour maintenir un haut niveau de protection (réformes et maitrise des déficits). Enfin, les solidarités collectives portées par des acteurs qui se mobilisent en collectifs, associations et réseaux et qui prennent des initiatives sociales le plus souvent à l’échelle de territoires et de réseaux de territoires (solidarité internationale) pour résoudre les problèmes identifiés. Que retenir de cette lecture d’une recomposition des solidarités? Tout d’abord, au cours d’une période de rareté de moyens et d’efforts de réduction des déficits publics, la tendance est aux coups de rabots, aux réformes, à la remise en cause des acquis (réformes des retraites, des politiques de santé, des prestations). Il faut faire mieux avec moins.
Ensuite, nous assistons progressivement à une recomposition des contributions des différentes formes de solidarités. Nous constatons aussi la valorisation des solidarités fondées sur l’engagement volontaire, le bénévolat, la philanthropie, la charité rénovée. Enfin, les associations qui sont des acteurs majeurs de la production de solidarités collectives construisent des partenariats avec les pouvoirs publics. Souvent initiatrices de réponses pragmatiques à des situations sociales préoccupantes, elles vivent une relation complexe avec les pouvoirs publics, relation marquée par la reconnaissance et les contraintes d’une régulation tutélaire du « marché » et d’une gouvernance par les instruments[12]
Penser le changement
De manière synthétique on peut considérer que la recomposition du capitalisme au niveau mondial a des effets destructeurs sur les fondements de notre système de solidarités adossé au travail. Cette division internationale des activités économiques s’accompagne d’une transformation des formes de travail et d’emploi. Manuels Castels distingue le travail générique, travail qui peut être assuré par des machines, du travail autoproduit fondé sur la compétence et la créativité. Enfin, il faut ajouter le travail non rémunéré ou mal rémunéré. Dans ce contexte, on assiste à un renouvellement de la question sociale et des modalités de son traitement. L’heure est à l’activation des pauvres, au contrôle des chômeurs, à la stigmatisation des populations assistées, à la répression de l’errance. Nous assistons au retournement[13] de la dette sociale car le bénéficiaire doit aujourd’hui apporter la preuve de sa mobilisation et de sa capacité à s’affirmer comme un individu responsable. Le tableau critique, que je viens de présenter montre l’importance des changements et l’acuité des problèmes. Et nous voyons bien là le rôle central du mouvement associatif (sans oublier les mutuelles, les fondations, les coopératives) pour construire sur les territoires des solidarités nouvelles. Si l’Etat Providence réduit sa voilure, si dans certains territoires les solidarités de proximité s’épuisent, les associations et réseaux d’acteurs peuvent mobiliser leurs capacités de créativité pour inventer de nouvelles manières de vivre ensemble la devise de notre République.
Développer des
solidarités nouvelles
Le développement de ces
solidarités nouvelles on en voit les principes et les premières réalisations.
Elles sont fondées sur des valeurs de partage, de participation, d’entraide et
de convivialité[14]. Elles
émergent souvent en marge des institutions et inventent des formes d’organisation
alternatives, de nouvelles manières de travailler, de consommer, d’habiter, de
se déplacer. On peut citer à titre l’illustrations : les jardins partagés;
l’habitat participatif; les circuits courts, les réseaux d’entraide, les
collectifs d’artistes, les entreprises solidaires…
Conclusion
Pour conclure
brièvement, je retiendrai quelques enjeux qui me semblent traverser le projet
de la fondation : Comment gérer la tension entre institution et innovation?
Comment dépasser la logique de dispositif et d’établissement et agir sur les
territoires dans une démarche de développement des solidarités ? Quelles
stratégies de positionnement au regard des changements observés et annoncés?
1- Comment
gérer la tension entre institution et innovation?
Nous
pouvons définir de manière élémentaire l’institution comme un créateur d’ordre
et l’innovation comme un créateur de désordre momentané. Penser l’innovation au
cœur d’une institution ou à sa périphérie c’est envisager la rénovation du
programme institutionnel. Nous pouvons définir l’institution en général comme
un système, pratique et symbolique, de transformation de l’humain et de la
société. A partir de valeurs fondatrices, de théories et de pratiques de l’action,
l’institution agit comme un bâtisseur de cathédrales fondées sur des cadres, de
repères, de contraintes mais aussi d’opportunités. Bref, une forme d’ordre
social.
L’institution
médico-sociale est aussi fondée sur ce modèle de la traduction de valeurs
humaines en programmes d’actions (dispositifs, services, établissements,
missions) mais elle est traversée
par des tensions internes et des pressions externes. Elle offre l’image d’un
ordre négocié[15] entre
diverses parties prenantes. Les démarches d’expérimentation sociale et
d’innovation offrent l’opportunité de travailler ces tensions et de renouveler
le programme et le projet.
2- Comment
dépasser la logique de dispositif et d’établissement et agir sur les
territoires dans une démarche de développement des solidarités ?
J’ai
évoqué la distinction entre territorialisation des politiques publiques et politiques
territoriales. D’un côté nous avons un déploiement de dispositifs, de moyens
pour combattre des dysfonctionnements sociaux sur l’ensemble du territoire
national au nom de l’égalité républicaine. De l’autre, nous avons les
dynamiques territoriales de développement endogène mobilisant les ressources
des territoires. Ces deux logiques sont compatibles et elles sont en relation
dialectique. Il est donc possible, vous le faites déjà, d’articuler ces deux
logiques de manière dynamique et créative.
3- Quelles
stratégies de positionnement au regard des changements observés et annoncés?
A partir de cet ensemble de considérations générales sur les dimensions territoriales de la production des solidarités comment penser le changement et le positionnement ? Il faut probablement surmonter la tyrannie du quotidien et se donner du temps pour observer, réfléchir, explorer de nouvelles voies, libérer de nouvelles voix…Autrement dit, penser la relation à autrui en s’inspirant d’un convivialisme renouvelé, penser les pratiques de manière réflexive, penser l’intelligence collective en créant de nouveaux espaces de problématisation[16] (Tiers secteur scientifique[17]). Bref, donner du crédit à la créativité de l’agir[18]
A partir de cet ensemble de considérations générales sur les dimensions territoriales de la production des solidarités comment penser le changement et le positionnement ? Il faut probablement surmonter la tyrannie du quotidien et se donner du temps pour observer, réfléchir, explorer de nouvelles voies, libérer de nouvelles voix…Autrement dit, penser la relation à autrui en s’inspirant d’un convivialisme renouvelé, penser les pratiques de manière réflexive, penser l’intelligence collective en créant de nouveaux espaces de problématisation[16] (Tiers secteur scientifique[17]). Bref, donner du crédit à la créativité de l’agir[18]
[1]
Communication présentée lors du séminaire des cadres de la Fondation Massé
Trévidy le 11 septembre 2014 à Plounéour Menez
[2]
« Approfondir cette
dimension vitale du projet de la Fondation : à
quelles conditions notre inscription territoriale, au plus près des besoins
des personnes en difficultés, est-elle facteur de développement des
solidarités de proximité ? Quels enseignements tirons-nous de notre
territorialisation ? Quelle visée prospective pouvons-nous tracer au-delà de
tous les effets de mode pour être, encore plus, acteurs de lien social local
?"
[3]
DiMaggio P.J. et Powell W.W. (1983), The Iron Cage Revisited : Institutional
Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields, American
Sociological Review, vol 48, April, 147-160
[4]
Cette
conception a été officiellement présentée par Manuel Vals lors de sa
déclaration de politique générale du 16/9/14
[5]
Il faudra interroger le maire de Carhaix pour savoir si il souhaite constituer
un département rural en centre Bretagne ?
[6]
Pierre BOURDIEU, La misère du monde, Seuil, 1993
[7]
Mark GRANOVETTER, « The strong for weak ties hypothesis », American
Journal of Sociology, 1973, texte traduit dans l’ouvrage Le marché autrement,
DDB, 2000.
[8]Robert
PUTNAM, Bowling alone, Simon and Schulter, 2001
[9]
Michel AUTES, Les paradoxes du travail social, Dunod, 2004
[10]
Manuel CASTELS, Communication et pouvoir, MSH, 2013
[11]
La firme Amazon en offre un exemple saisissant, cf le dossier réalisé par le
Monde Diplomatique de novembre 2013.
[12]Pierre
LASCOUMES, Patrick LE GALES,
Gouverner par les instruments, Presses de Sciences Po, 2005, 370p.
[13]
Par opposition avec l’idée de la dette « inviolable et sacrée » de la
société à l’égard de ses membres portée par la révolution française et la 3°
République. Voir à ce propos les
travaux de Robert CASTEL et d’Isabelle ASTIER
[14]
Voir les travaux d’Yvan Illich et le Manifeste convivialiste (en ligne)
[15]
Enselm STRAUSS, La trame de la négociation, L’Harmattan, 1999
[16]
J’emprunte l’expression à Michel CALLON auteur avec Pierre LASCOUMES de
l’ouvrage Agir dans un monde incertain.
[17]
La notion de tiers secteur scientifique proposée par la Fondation Sciences
Citoyennes a été reprise par la Région Bretagne pour définir son appel à projet
de recherche partenariale et participative pour l’appropriation sociale des
sciences (ASOSC)
[18]
Hans JOAS, La créativité de l’agir, Ed. du Cerf, 2008
Commentaires
Enregistrer un commentaire