Les Sciences Humaines et Sociales et la formation supérieure des cadres de l’intervention et du développement social.


Dans ce bref texte, je propose d’interroger la place des sciences humaines et sociales (SHS) dans la formation supérieure des cadres de l’action sociale. Il s’agit d’un travail exploratoire qui prend appui sur l’expérience de la conception et la mise en œuvre de dispositifs de formations universitaires (Master) et de formations supérieures relevant du code de l’action sociale (DEIS, Caferuis). Nous avons en France un appareil de formation constitué historiquement en deux branches distinctes qui convergent de manière exceptionnelle dans le cadre d’une double certification imposée comme c’est le cas pour le DEIS couplé à un Master. La première branche organisée et contrôlée par le ministère des « affaires sociales » pour la détermination des référentiels de formation et de certification est généralement mise en œuvre par les centres de formation privés initiés par des organisations non lucratives (associations, fondations) du secteur social et médico-social. Il s’agit principalement des formations initiales des travailleurs sociaux financées désormais par les Régions et de formations supérieures continues des cadres (CAFDES, DEIS, CAFERUIS). 
Notons que si les formations de niveau 1 (DEIS, CAFDES) semblent représenter un enjeu de positionnement important pour ces instituts privés, la faiblesse des effectifs concernés (une dizaine de diplômés chaque année pour le DEIS ; une quinzaine pour le CAFDES, à l’échelle de la Région Bretagne) montre que cette activité de formation reste marginale au regard des flux de travailleurs sociaux formés. La seconde branche s’inscrit dans l’offre des Universités sous la forme de licences du champ sanitaire et social, de licences professionnelles intervention sociale, de Masters Intervention et développement social. On compte à l’échelle de la COMUE UBL (Bretagne et Pays de la Loire) pas moins d’une douzaine de diplômes universitaires (spécialités de Master et licences) relevant du champ de l’intervention sociale. Si les formations supérieures des cadres des services et établissements de l’action sociale (CAFDES, CAFERUIS) mobilisent les sciences sociales, l’analyse des politiques sociales, les sciences de gestion et le droit principalement, elles reposent de manière centrale sur la transmission de pratiques professionnelles fondées sur l’expérience et la spécialisation des réponses aux situations professionnelles de management et de gestion concrètes. Les enseignements sont spécialisés et préparent à la prise de fonction rapide de chef de service ou de direction. Les profils d’expertise visés par le DEIS sont plus ouverts et référés à des missions de cadre développeur, de conseiller technique, de formateur. L’expertise visée repose sur une plus forte acculturation aux sciences sociales et aux méthodologies de la recherche. Cette perspective justifie la mutualisation d’enseignement avec un Master et la possibilité pour les candidats de viser la double certification Master/DEIS. Nous avons bien deux conceptions de la formation des cadres de l’action sociale. L’une est fondée sur la transmission des bonnes pratiques professionnelles situées dans le cadre d’une appropriation rigoureuse des cadres normatifs de la gestion et de l’administration. L’autre est davantage ancrée dans les processus de recherche en sciences humaines et sociales. Il s’agit de formation par la recherche et aussi de formation à la recherche. La mise en œuvre d’un Master repose en premier lieu sur une équipe d’enseignants-chercheurs membres de laboratoires. La transmission des connaissances et savoirs instrumentaux mobilise les ressources des disciplines scientifiques (cadres théoriques et conceptuels, méthodes d’analyse) et les enseignements de travaux d’études et de recherche réalisés dans ces laboratoires ou réseaux de recherche régionaux, nationaux internationaux. À ces savoirs généralistes sur les questions du champ social et professionnel concerné, s’ajoutent les contributions expertes de professionnels qui transmettent des savoirs issus de l’action professionnelle. A cette hybridation des savoirs (savoirs académiques et savoirs d’action) qui permet d’avoir une lecture à la fois située et distanciée des pratiques sociales est associée un processus de production ou d’analyse de savoirs expérientiels. La conduite d’une mission de stage et la réalisation d’un mémoire de recherche-action permettent non seulement de mobiliser des apprentissages de contenus et de méthodes initiés en cours, elle vise aussi la production de connaissances inédites sur des situations professionnelles en développant une capacité de réflexivité critique. La professionnalisation des cadres de l’action sociale repose donc sur la mobilisation ciblée et différenciée de trois configurations de production et de transmission de connaissances permettant d’établir un lien entre les ressources disciplinaires et les outils de la recherche, d’une part, les cadres de l’exercice professionnel et les compétences attendues par les institutions et les organisations, d’autre part. Ce lien entre enseignements disciplinaires et compétences professionnelles est désormais formalisé dans un référentiel annexé à la maquette du diplôme. En retenant l’exemple du Master Intervention et Développement social que nous mettons en œuvre nous pouvons identifier les enseignements disciplinaires (sociologie, droit, philosophie, psychologie) fondamentaux en SHS permettant une lecture critique et distanciée des phénomènes sociaux (vulnérabilités, inégalités, discriminations, mouvements sociaux) et de leurs traitements institutionnels et professionnels (analyse des politiques et des actions publiques, analyse des pratiques professionnelles). Ensuite, les étudiants sont initiés à la mise en œuvre de méthodes et d’outils mobilisables pour la recherche et l’action professionnelle. Évaluation diagnostique, étude de population, enquête de terrain, évaluation sociale et médico-sociale constituent une boîte à outils nécessaire à la mise en œuvre de compétences instrumentales permettant de produire des connaissances en situation au regard d’enjeux organisationnels, professionnels, institutionnels. Enfin, de nombreux professionnels, le plus souvent en situation de responsabilité, transmettent des connaissances ancrées dans les dynamiques professionnelles et organisationnelles et proposent leurs analyses en puisant dans les ressources qu’ils ont constituées au cours de leur exercice professionnel mais aussi à l’occasion d’un cursus universitaire, de travaux d’enquêtes et d’analyse réalisés le plus souvent dans le cadre de réseaux professionnels ou institutionnels. L’individualisation des parcours rendue possible par les choix effectués par l’étudiant (choix du parcours, thèmes de projets tuteurés, mission de stage et thème de recherche-action) permet l’appropriation ciblée des connaissances, d’orienter l’effort de maîtrise des outils, de construire un capital de connaissances et de capacités opérationnelles utiles à l’exercice professionnel. Enfin et si nous donnons peu de crédits à l’idée de discipline scientifique en travail social revendiquée par les centres de formation privés qui cherchent à obtenir une reconnaissance comme établissements d’enseignements supérieurs dotés de moyens pérennes pour la recherche, nous voyons bien l’intérêt d’une formation universitaire pluridisciplinaire, à la fois généraliste et pratique, permettant aux diplômés de construire leurs parcours professionnels en dépassant le caractère strictement utilitariste de la formation.

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