Comparer les formes de l'intervention territoriale


 L’exemple des initiatives de développement solidaire

 Comparer des territoires

La comparaison est habituellement située à partir d’une échelle territoriale jugée pertinente pour saisir les  analogies et les distinctions qui apparaissent dans l’analyse des phénomènes, des politiques et actions publiques, des pratiques sociales… Le territoire retenu pour la comparaison est fréquemment, et par commodité, celui des découpages administratifs de collectivités publiques. Ce niveau d’observation peut se justifier au regard des compétences de ces collectivités publiques : la Région pour sa compétence en matière de développement économique ; le Département pour son rôle pilote en matière d’action sociale ; les communes et intercommunalités pour leurs politiques de proximité, la cohésion sociale des territoires ou les politiques de réussite éducative par exemple. Cependant, la comparaison bute très vite sur l’obstacle de la contextualisation. La prise en compte  des contextes locaux, régionaux ou nationaux nécessairement réductrice amène l’observateur à nuancer la pertinence de ces rapprochements en raison de la diversité des histoires, traditions, expériences locales…En effet, comment comparer les dynamiques territoriales de l’ESS en PACA, Bretagne, Aquitaine ? Comment comparer des processus de polarisation  de l’ESS? Si nous avons une même approche d’un objet comparable construit pour la recherche (ce qui constitue en soi un premier défi), nous nous trouvons très vite confrontés à la question du choix des données de cadrage permettant de rendre possible cette comparaison : une grille de lecture, un référentiel, un cadre d’analyse partagé…Le risque est grand de comparer des situations incomparables et de retirer des analyses simplificatrices et peu significatives. Bref « comparaison n’est pas raison ».

Comparer des dispositifs

À un niveau infraterritorial (Région, Département, Pays, Commune) il est possible de comparer la mise en œuvre différenciée d’un dispositif particulier à une échelle locale. Le local étant ici : l’entreprise, la commune, l’agglomération, le pays ou encore le réseau. Nous partons d’une variété de dispositifs de soutiens publics à l’économie (la création des pôles ESS en Bretagne, les PTCE, le DLA, les territoires zéro chômeur, des entreprises en réseau) fondés sur des principes d’actions, des cadres de référence, des financements publics et privés… et nous observons la manière dont les acteurs, sur un territoire donné, s’approprient le dispositif, le contextualise, en tirent profit ou se trouvent embarrassés avec le modèle  proposé[1].

Comparer des discours

Nous pouvons enfin, considérer la comparaison des énoncés contenus dans le discours des acteurs comme une démarche de construction de théories de l’action fondées empiriquement. Lorsque Glasez et Strauss présentent leur stratégie de recherche qualitative (La découverte de la théorie ancrée) ils donnent à la comparaison des énoncés une place centrale dans la construction des catégories empiriques et la constitution de cadres d’analyse. De mon point de vue, ces trois niveaux d’analyse sont complémentaires. Nous pouvons ainsi analyser les dispositifs en conduisant une analyse du discours d’acteurs, en déduire une lecture des processus de mobilisation, de coopération, d’expérimentation…Nous pouvons ensuite comparer des dispositifs analogues ou différents en cherchant à identifier leurs  principes fédérateurs et productions de communs ; nous pouvons aussi mettre en lumière des formes différenciées d’appropriation, d’interprétation d’un même référentiel. À ce niveau d’observation, il est possible de noter des effets de contexte, des traditions locales, des velléités de distinction. Enfin, ces approches monographiques comparées peuvent constituer les matériaux d’une comparaison plus générale des processus, des discours de justification, des matrices territoriales..

Comparer les formes de l’intervention territoriale pour l’ESS :

Afin de comparer les formes de l’intervention territoriale et d’identifier des théories ou logiques de l’action qui orientent les pratiques nous avons élaboré une matrice mettant en comparaison des dispositifs forts différents :  PTCE, Poles ESS, DLA, Territoires Zéro chômeur, Réseaux d’entreprises). Ces différents dispositifs, se superposent, se complètent, se succèdent selon les périodes d’appel à projets, mais ils visent des finalités qui présentent des analogies. Il s’agit souvent de contribuer à la structuration et au développement territorial de l’ESS, de susciter ainsi la création d’entreprises et d’emplois ou encore de les consolider  par le diagnostic et le conseil expert, l’expérimentation et l’innovation.

Nous cherchons ensuite à identifier la théorie ou logique de l’action qui fonde le dispositif. Nous entendons par « théorie de l’action » ou « logique d’action » une conception de l’action à visée de transformation sociale fondée empiriquement ou théoriquement. À ce stade de notre réflexion exploratoire, nous pouvons identifier plusieurs énoncés de synthèse qui apparaissent de l’analyse documentaire et qui seront à affiner par une analyse de discours des acteurs : 1- La mobilisation endogène de ressources territoriales et la coopération des acteurs sont des facteurs de développement économique (PTCE) ; 2- La mobilisation endogène de ressources territoriales est un facteur de créativité et d’innovation, de développement, de structuration (Pôles ESS) ; 3- Le diagnostic partagé mené par un conseil expert permet de résoudre des difficultés et guider l’entreprise dans son développement, voire son redressement (DLA) ; 4- Les chômeurs de longue durée sont employables et les territoires « regorgent » d’emplois potentiels, il faut donc activer l’offre et la demande (Territoire zéro chômeur) en mobilisant différemment les aides publiques. ; 5- La coopération des acteurs et la structuration de réseaux d’entreprises coopératives sont des moyens efficaces pour accompagner le développement d’activités et d’emplois ;  l’activité économique et la mise en situation de travail sont un facteur d’insertion des demandeurs d’emploi (entreprises et ateliers d’insertion, CAE).

Une lecture transversale de ces 5 théories ou logiques de l’action montre de manière récurrente une conception du développement endogène soutenu par des aides publiques (à un moment de leur trajectoire) qui repose sur une conception « minière » du territoire et de ces acteurs (Une « pépite » se cache dans la mobilisation des acteurs sur un territoire). Il s’agit en effet, avec de l’argent public,  de mobiliser les acteurs, de révéler des richesses territoriales potentielles et d’engager un mouvement  collectif, voire coopératif,  permettant  d’expérimenter et de créer de nouvelles opportunités d’entreprises et de création d’emplois. L’aide publique d’amorçage apparaît déterminante et l’on peut considérer ces dispositifs comme des actions publiques conjointes. Ensuite, le référentiel de l’ESS induit des valeurs et des principes qui organisent  les relations entre les acteurs. La coopération des acteurs apparaît centrale, et s’inscrit dans des processus de régulation collective prenant en compte des cadres normatifs formulés en termes de gouvernance démocratique, d’utilité sociale, de responsabilité sociale et environnementale.


DOCUMENT DE TRAVAIL  PROGRAMME DE RECHERCHE ESSAQUI - 2017





[1] Notre étude des pôles de développement de l’ESS en Bretagne illustre bien cette appropriation différenciée d’un dispositif organisé à partir d’un référentiel commun. Cf article : Polarisation et sens du commun.

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